« Résister ! » : exposition photographique des 80 ans de la Libération du Tarn

L’Amicale des maquis de Vabre a conçu, avec le soutien du Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) des Hautes Terres d’Oc, une exposition photographique dans le cadre des 80 ans de la Libération du Tarn. Sur cette page, vous trouverez les textes complets accompagnant l’exposition qui va parcourir la montagne du Tarn à partir de l’été 2024. Son objectif, grâce aux archives de l’Amicale, est de vous donner un aperçu de la vie au maquis ainsi qu’un éclairage historique sur ce qu’ont vécu les civils et militaires habitant la vallée du Gijou en 1944.

Itinéraire de l’exposition : Murat-sur-Vèbre en juillet 2024, Vabre en août, Lacaune en septembre, Labastide-Rouairoux d’octobre à janvier. Vernissage de l’exposition le mardi 13 août à Vabre.

Introduction à l’exposition photographique

« Résister ! » C’est le cri muet, gravé jadis, par les emmurées huguenotes de la Tour de Constance, d’Aigues-Mortes. Ces femmes intraitables qui, dans un siècle d’intolérance, refusèrent de se soumettre et d’abjurer leur foi.

Résister ! C’est cet impérieux appel lancé dans la solitude de Londres, par un officier méconnu, dans la débâcle et le déshonneur de 1940.

Résister ! C’est dans les années sombres de l’Occupation, cet écho repris de bouche en bouche, dans nos villes et dans nos campagnes, jusqu’au fond des prisons et au seuil des supplices, par les « Amis » de l’Armée des Ombres. Les rares et précieuses photographies de l’époque, présentées dans cette exposition, sont là pour témoigner, au présent, de ce que fut par la chair et l’esprit, une part de la Résistance.

Résister ! C’est, hier, comme aujourd’hui, dans des temps de trouble où la vérité est si aisément maquillée, les valeurs si souvent détournées, ne rien céder. Ni dans le for intérieur de sa conscience, non plus qu’au sein de la Cité.

Résister, c’est se remettre dans les modestes pas de nos Anciens qui, dans nos villages, nos vallées, dans les replis intimes de notre montagne, ont su, dans des temps difficiles, ne pas s’abandonner à la lâcheté et au mensonge, et c’est enfin transmettre, à la jeunesse, leur inaliénable leçon.

Michel Cals
Vice-président de l’Amicale des Maquis de Vabre

Rien ne peut résumer ce qu’a été la Résistance en France. Mouvement intime, collectif, d’instinct et de confiance ; la Résistance est plurielle. Dans cette exposition, la focale est centrée sur le Tarn et sa montagne. Le Corps Franc de Libération n° 10, ce sont 27 communes qui composent l’entité géographique sur laquelle nous nous concentrons. Puisées dans les seules archives de l’Amicale des Maquis de Vabre, ces photos ne peuvent figurer toute la Résistance du Tarn, ni toute la Résistance de la montagne. Nous avons tâché de citer le plus de noms d’acteurs et d’actrices de cette histoire dont la mémoire est un héritage que nous devons toutes et tous faire vivre.

Nous n’oublions pas les autres zones de commandement FFI du Tarn, ni les 37 autres mouvements tarnais homologués par le ministère des Armées. Pas moins que nous n’oublions celles et ceux tombés ailleurs dans le département, autant de vies dédiées jusqu’au bout aux idéaux de liberté et d’humanité.

Simon Louvet
Co-auteur de l’exposition

Panneau 1 – Suivre le fil

Pour comprendre Vabre, il faut suivre la vallée du Gijou et son eau. Elle a alimenté les usines de textile qui ont fait vivre des milliers d’ouvriers, dont ceux de l’usine Faure et Claron ici photographiés dans les années 1920. La période faste fut la deuxième moitié du XIXe siècle, jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il y avait alors 42 usines à l’est de Castres et Vabre comptait 2500 habitants. Le textile et l’agriculture étaient les principaux secteurs d’emploi. Des liens se sont noués jusqu’à Paris, avec les artisans tailleurs du Sentier, souvent de confession juive. Un fil essentiel pour la suite de cette histoire.

Panneau 2 – Village refuge

La Seconde Guerre mondiale commence en septembre 1939 par l’invasion allemande de la Pologne. Après plusieurs mois d’une guerre sans mouvement, les armées allemandes déferlent sur les Pays-Bas, la Belgique et la France en mai 1940. Les armées alliées ne parviennent pas à endiguer cette avancée. Entre 8 et 10 millions de personnes sont jetées sur les routes de l’exode pour fuir la rapide avancée allemande. Une tragédie humaine pour les civils comme pour les soldats français défaits, dont 19 de la vallée du Gijou sont morts au combat et 600 prisonniers après l’armistice qui scinde la France en deux. Une zone nord occupée par les Allemands, une zone sud administrée par le régime de Vichy bientôt collaborateur.

Dans le Tarn en zone sud, 60 000 réfugiés sont accueillis. Parmi eux, plusieurs centaines sont réparties dans les villes et villages de la région castraise. À Vabre, il y a environ 70 réfugiés de confession juive, hébergés chez les habitants, qui sont venus ici en raison des liens commerciaux noués grâce à l’industrie textile. Les persécutions antisémites ne sont pas encore entrées en vigueur, mais cet accueil sera salvateur.

Parmi ces réfugiés, beaucoup deviendront des maquisards. Certains aideront à la confection d’uniformes. D’autres vont simplement vivre et survivre, comme Marlyse Silverberg ici enfant. Réfugiée de Belgique, elle s’est installée en juin 1940, avec sa famille, à Beaulieu-en-Dordogne. Prévenue d’une rafle par le réseau de sauvetage des Éclaireurs israélites de France, sa famille s’enfuit à l’été 1942 et arrive à Vabre. Elle est hébergée au presbytère par le pasteur Robert Cook et son épouse Jacqueline. À 15 ans, Marlyse travaille à l’épicerie de la famille Mialhe, écoute la BBC et va au culte protestant.

Panneau 3 – Genèse d’une Résistance

À Vabre comme partout en France, on se soucie depuis 1940 du ravitaillement difficile. Les 1er et 2 juillet 1942, le temps est à la réflexion : un camp d’été spécial se tient sur les hauteurs du village, à la Jasse de Renne. Ce sont les Éclaireurs unionistes qui organisent ces événements, d’habitude. Là, ce sont les têtes pensantes de l’École des cadres d’Uriage, avec son directeur le colonel Pierre Dunoyer de Segonzac (au centre), qui occupent les lieux. Cette école a été fondée dès 1940 par le régime de Vichy qui accuse les élites d’avoir mené à la défaite et souhaite en former de nouvelles. Trop réfractaire à Vichy, elle sera fermée en 1943.

L’organisation de ce camp d’été n’est pas un hasard : peu avant, Guy et Odile de Rouville ont assisté au mariage de Pierre Hoepffner, cousin d’Odile et adjoint de Pierre Dunoyer de Segonzac à l’école d’Uriage. Cette rencontre a posé les bases d’une relation importante entre Guy de Rouville, futur chef de la Résistance du secteur, et Pierre Dunoyer de Segonzac qui deviendra, à l’été 1944, le chef de la zone FFI du sud-est du Tarn. Il gardera Pierre Hoepffner en adjoint et viendra avec des intellectuels comme Hubert Beuve-Méry, Jean-Marie Domenach et Gilbert Gadoffre. Des instructeurs de haut-vol qui sillonneront les maquis en équipes volantes pour parler avec les maquisards du pays à rebâtir. Démocratiquement, cette fois.

Panneau 4 – Village sauveur

À l’été 1942, la vie des juifs de France bascule définitivement. Après les lois antisémites de 1940 et 1941, les autorités allemandes et françaises organisent des rafles dans tout le pays. En zone occupée, comme au Vel d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, mais aussi en zone sud. Le 26 août, sur ordre du gouvernement de Vichy, policiers et gendarmes français arrêtent des milliers de juifs de tous âges. Les cibles les plus faciles sont les camps d’internement de la zone sud comme Gurs, Rivesaltes et Les Milles, mais aussi les villes d’assignation à résidence comme Lacaune, à 30 kilomètres de Vabre. 119 personnes dont 20 enfants y ont été arrêtées par la gendarmerie.

Dans les camps, des associations de secours comme le Cimade ont tenté d’extraire un maximum de personnes. C’est ainsi qu’un groupe d’environ 35 adolescentes d’origine allemande ont été exfiltrées vers le chantier rural des Éclaireurs israélites de France, à Lautrec. Ciblé par les autorités, ce lieu n’était pas sûr pour les adolescentes. Le groupe a dû partir encore, pour arriver à Vabre au début du mois de septembre. Pendant plus d’un mois, les adolescentes ont été prises en charge par des scoutes protestantes et israélites, avec la protection active des autorités du village. Elles ont été évacuées à la mi-octobre vers d’autres refuges et elles auraient toutes survécu à la Shoah.

Panneau 5 – Justes du Gijou

Immédiatement après les rafles, certains citoyens non Juifs se sont émus du sort de ces familles arrêtées et séparées sans autre motif que leur religion. « C’était terrible. Comme la Saint-Barthélemy », dit-on dans ces terres protestantes où le souvenir des persécutions est resté gravé. Une entraide s’organise. Le pasteur Robert Cook (en haut à gauche) facilite l’installation des jeunes allemandes à la Jasse de Renne, avec le concours et le soutien du maire Pierre Gourc. Lequel décide d’informer le brigadier-chef de la gendarmerie, Hubert Landes (en bas à gauche), qui ferme les yeux. À la Jasse de Renne, les scoutes protestantes et juives sont à l’œuvre : Hélène Rulland, Nicole Bloch, Gisèle Agnel, Simone Carayol, Suzanne Guesh, Jeanne Raynaud et Zulma Armengaud (à droite). Cette dernière a accueilli, dans son école de Saint-Pierre-de-Combejac, des hommes ayant échappé à la rafle de Lacaune. Parmi eux se trouvait Raoul Léons, futur lieutenant de l’Armée juive, formation dont les maquis seront dans le Tarn.

Robert Cook, Hélène Rulland et Hubert Landes ont obtenu le titre de Justes parmi les Nations, décerné par Yad Vashem aux non juifs ayant sauvé la vie de Juifs. Zulma Armengaud ne l’a pas obtenu. 55 familles du Tarn ont eu cette distinction, dont 20 dans la montagne. Depuis 2015, Vabre est reconnu par Yad Vashem comme Village des Justes.

Panneau 6 – Des chefs pour résister

La Résistance est une histoire de réseaux, de confiance réciproque. Depuis 1940, des individus tentent d’organiser l’armée des ombres qui devra, un jour, libérer le pays. Serge Asher entre à 22 ans au mouvement Libération-Sud. Ce réseau a fusionné avec Combat et Franc-Tireur, début 1943 dans les Mouvements Unis de la Résistance. Les bases de cette union ont été posées à l’été 1942, dans le château de Saliès de Charles d’Aragon. Tout était alors à créer, pour des résistants peu nombreux et dépourvus d’armes. En mars et juin 1944, la création des Forces françaises de l’Intérieur et le Débarquement de Normandie achèvent de poser la hiérarchie de la Résistance. Serge Asher dirige la région de Toulouse dite R4, avec Maurice Redon comme adjoint pour le Tarn. Albert Sarda de Caumont a été adjoint de Serge Asher. Une région liée à Londres et à la France Libre par Bernard Schlumberger, Délégué militaire régional installé à Vabre.

Le Tarn était organisé en cinq zones, dont la Zone A dirigée par Charles d’Aragon puis par Pierre Dunoyer de Segonzac. Cette zone incluait Vabre et les maquis du Corps franc de la Libération n° 10 dont Guy de Rouville avait la charge. Pour que les résistants soient organisés et formés, le vétéran de 14-18 Henri Combes a pris le commandement militaire du secteur.

Panneau 7 – Premiers maquisards

Quand Philippe Pétain a pris le pouvoir et instauré le régime de Vichy à l’été 1940, la majorité des Français étaient favorables à ce maréchal auréolé de la victoire de Verdun pendant la Première Guerre mondiale. La Résistance n’était qu’un embryon dans les deux premières années de guerre. 1942 marque un tournant : les rafles contre les juifs et l’invasion de la zone sud par les troupes allemandes ont un fort effet sur l’opinion. Mais la bascule a lieu début 1943 : la Milice et le Service du travail obligatoire apparaissent. Des milliers de jeunes doivent aller travailler en Allemagne pour soutenir l’effort de guerre nazi.

Cette situation conduit 200 000 jeunes à se mettre hors-la-loi : ce sont les réfractaires. Les quatre premiers se signalent à Vabre début mars 1943, trois semaines après l’instauration du STO. Il s’agit de deux paires de jumeaux : Louis et Jacques Cèbe, René et Edgar Fuchs. Après une veillée avec leurs chefs scouts qui les ont alertés sur le risque de représailles, les quatre garçons ont pris la route de la Jasse de la Courrégée, dans le creux de la vallée. Dans cette ferme au bord d’un ruisseau, ils ont vécu en scouts. Sans armes ni entraînement, ce n’était qu’un « maquis d’attente », dont la naissance le 9 mars signe le début de l’aventure des Maquis de Vabre. Des amis les rejoindront au fil des mois. De quatre début 1943, ils seront plus de 400 en 1944.

Panneau 8 – Scouts juifs au maquis

Albi la catholique et Castres la protestante : le Tarn est un territoire façonné par des siècles d’histoire religieuse. Les protestants sont nombreux dans la Montagne noire, leur refuge lors des persécutions des guerres de religion aux XVI et XVIIème siècles. Cette mémoire participe à expliquer les sauvetages de juifs à l’été 1942 et l’événement de décembre 1943, quand un petit groupe de scouts juifs vient se camoufler à Viane, au lieu-dit La Malquière. Ils sont sept pionniers : Roger Cahen (au centre), François Lévy, Jean Hirsch, Roger Bloch, Henri Glovinski, Georges Hirsch et Willy Kouklia. Ces scouts sont passés par les chantiers ruraux des Éclaireurs israélites de France, dont Lautrec au nord de Castres. Ces chantiers juifs, tolérés de 1940 à 1943 par Vichy, ont été dispersés par leurs chefs car trop menacés. Robert Gamzon, fondateur des ÉIF, a laissé le choix à ses scouts : se cacher, partir pour la Palestine via l’Espagne ou prendre le maquis comme ceux de La Malquière. Ils y ont été orientés par Élise Madern, habitante du hameau proche et future infirmière des maquisards. L’embryon du maquis juif s’est développé au fil des mois, pour compter près d’une centaine de résistants juifs à l’été 1944. Regroupés dans la deuxième compagnie, ils étaient chargés de défendre le terrain Virgule où avaient lieu les parachutages alliés. Cantonnés à Laroque et Lacado en 1944, ils ont subi l’attaque du 8 août 1944 et perdu un de leurs chefs, Gilbert Bloch. Cette compagnie de commandement juif est un exemple exceptionnel de la Résistance juive en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

Panneau 9 – Une vie de réfractaires

L’instauration du STO en février 1943 génère des drames en ville. « À Mazamet, alors que l’autocar était rempli de jeunes gens que l’on emportait, des femmes se sont couchées par terre devant le car. Personne n’est parti ce jour-là », se souvient Zulma Armengaud. La montagne est un refuge, les réfractaires vont affluer au fil des mois, toujours plus nombreux jusqu’à l’été 1944 et le Débarquement, avec la complicité des gendarmes qui n’arrêtent pas les réfractaires qu’ils savent pourtant bien où trouver.

Il fallait s’organiser, explique Odile de Rouville : « Certaines classes d’âge étaient touchées, pour Henri Combes et pour Guy, mon mari, ça a été la première action pratique dans la Résistance, ils ont prévenu les jeunes et gratté les dates de naissance sur les cartes d’identité. Très vite, il y a eu une connivence entre familles, on s’entraidait ensuite pour placer ces jeunes dans les fermes éloignées. »

Certains, comme ceux de la photo, sont employés aux champs et dans les fermes de la montagne. Roger Cabrol et Éloi Faure ont prêté leurs bras en échange de l’hébergement chez Lydie Mialhe-Vieu à la Daureillée ; Serge Fouquet et Frédéric Bitterli travaillent à la ferme et bûcheronnent en forêt de Montagnol ; Marcel Guy à Saint-Pierre-de-Trivisy… Les places ne manquaient pas, en attendant le combat. Réfractaires à travailler pour les Allemands, mais pas réfractaires au travail !

Panneau 10 – Continuer à vivre

La guerre, la débâcle, l’armistice, le régime de Vichy, l’occupation… Dans les temps arides de 1939-1945, la vie n’a pas cessé pour autant. Se nourrir et vivre sont restés des priorités, et les loisirs n’ont pas toujours disparu. Pour les adolescents et jeunes adultes par exemple, les organisations de jeunesse ont continué à réunir leurs troupes pour alléger les morsures de la guerre. Dans la montagne du Tarn, les scouts ont pu organiser plusieurs camps. Parfois juste pour se réunir, comme sur ces photos d’un camp d’Éclaireuses unionistes tenu à une date incertaine en 1942 ou 1943. Ces camps, comme à la Jasse de Renne en 1942 ou à Ferrières à Noël 1943, ont pu servir à camoufler des persécutés sous le patronage de responsables locaux et de pasteurs.

Ces camps ont peut-être aussi fait naître des résistantes, qui sait ? Les identités des jeunes femmes photographiées ne sont pas connues, mais il est avéré que des scoutes ont aidé les maquisards souvent issus des mêmes organisations qu’elles. Agentes de liaison, passeuses d’armes et de messages, convoyeuses d’enfants ou assistantes sociales allant à la rencontre des familles de maquisards ont participé à faire naître, vivre et survivre les réseaux de la Résistance.

Panneau 11 – Civils en première ligne

« Ici, un personnel résistant est garanti au visiteur », écrit le lieutenant Jean-Pierre Rouchié sous le pseudo Robinson, après la guerre. Ce compagnon d’Uriage est arrivé avec Pierre Dunoyer de Segonzac par le Tortillard, petit train reliant Castres à Murat-sur-Vèbre par la montagne. Le personnel du chemin de fer, à l’image du chef de gare René Jean pris en photo en casquette et vareuse ci-dessous, était très au courant de ce qui se tramait dans les forêts de la vallée. Et pour cause : le réseau téléphonique du Tortillard avait été détourné par l’agent Daniel des PTT acquis au maquis, pour communiquer sans crainte des Allemands et de leurs complices vichystes. La montagne n’était pas peuplée que de gaullistes, « mais personne n’a dénoncé » selon Guy de Rouville. Il y avait bien le portrait de Philippe Pétain à la mairie, mais Marianne y trônait toujours. Du maire Pierre Gourc aux commerçants Mialhe, Maraval ou Loupiac, les civils ont davantage aidé à une certaine discrétion tout en fournissant un soutien actif lorsque c’était nécessaire. Malgré les risques, la population a permis aux maquisards de se ravitailler et de s’organiser.

Le soutien actif à la Résistance est aussi passé par le textile, industrie historique dans la vallée. Les couturières de l’usine Faure et Claron ont dû, à l’image d’Eva Gatumel, coudre des uniformes pour les maquisards, tout comme les tailleurs juifs réfugiés de la famille Grumbach renommée Grubain. Les brassards tricolores à croix de Lorraine ont en partie été cousus dans les rideaux de la maison de Guy de Rouville, par sa mère Louise et son épouse Odile qui est sur la photographie ci-dessous, occupée à coudre le blason du Club athlétique vabrais. Ces participations civiles à l’effort d’organisation des maquis ont été essentielles et souvent l’affaire des femmes de la vallée. Ce n’était pas sans risque, en cas d’incursion allemande. Ce fut le cas le 13 août 1944, quand une colonne allemande traversa le village à la recherche de maquis. Sans les négociations du maire Pierre Gourc qui dévia l’attention allemande de la maison des de Rouville, « nicht maquis nicht kommunist », peut-être la vallée aurait-elle perdu plus que deux garçons ce jour.

Panneau 12 – Alger parle aux Vabrais

La région de Vabre n’a pas seulement occupé une place symbolique dans la grande histoire des maquis, pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y avait surtout un enjeu stratégique. Les hauteurs de Vabre ont accueilli en 1944 le poste de commandement du DMR de la région R4. DMR pour Délégué militaire régional ; R4 pour la région de Toulouse. Dans l’organigramme de la France libre, le DMR fait figure d’ambassadeur. Au total, ils ont été 27 en France.

Pour la région R4, il y eut d’abord Paul Leistenschneider, alias « Carré ». Mais c’est son successeur qui a marqué Vabre : Bernard Schlumberger, alias « Droite », arrivé dans la montagne en mai et photographié à gauche. La première compagnie des Maquis de Vabre, forte de 150 hommes, a été chargée de sa sécurité. À son PC de Bourrion, « Droite » était équipé d’un « piano » (ci-dessous), poste émetteur et récepteur donnant communication avec les chefs de la France libre installés à Alger depuis 1942. Il a coordonné les parachutages tombés à partir de juin sur Virgule, nom de code du terrain de Viane. Il a également transmis les ordres aux agents de la France libre actifs dans sa région, comme le chef saboteur André Jamme, aussi venu à Vabre, que l’on voit à Alger en 1942, à droite. Ils ont été des chevilles ouvrières de la France libre, dans l’ombre. Bernard Schlumberger est mort juste après la guerre et André Jamme a été fait Compagnon de la Libération, distinction décernée à 1038 hommes, femmes, régiments mais aussi communes dont les actions au service de la France libre et de la Libération du pays ont été décisives.

Panneau 13 – L’armement, enjeu vital

Comment combattre une armée très bien équipée et aguerrie ? Il faut des soldats, de l’expérience et des armes. Les soldats arrivent au compte-goutte. Les armes, c’est difficile. « Elles faisaient cruellement défaut », écrit le chef Guy de Rouville : « Nous avions quelques mousquetons d’instruction récupérés dans l’Agout par l’armée secrète de Castres, et presque pas de munitions. » Un parachutage égaré a offert quelques armes en janvier 1944, mais l’équipement restait rare. La solution arrive fin mai : le DMR. En lien direct avec Alger, « Droite » organise des parachutages sur « Virgule », le terrain homologué à Lacaze avec le code « De la chouette au merle blanc, le chargeur n’a que vingt balles ». Le 25 juin, le premier de sept parachutages apporte armes, vivres et argent. Fusils et mitraillettes Sten sont dans les lots. On en distingue quatre sur ces photos.

Le lieutenant Adrien Gensburger se réjouit dans son journal de marche : « Chaque homme va avoir soit un fusil, soit une mitrailleuse suivant ses fonctions dans le groupe ou dans la section. Et maintenant il va falloir songer à l’entraînement. Nous devenons des soldats, nous avons bien hâte de nous servir des armes reçues. Non par goût de tuer, mais par devoir de gêner l’ennemi et de le détruire un jour. »

Panneau 14 – Perdre un chef

L’histoire de la Résistance est aussi celle de drames, individuels ou collectifs. Le premier moment terrible pour les maquis de la région vabraise a lieu le 8 juin 1944 quand Germain Records, Louis Pélissier et Jean Cressot sont arrêtés et fusillés par les Allemands lors d’une mission dans le Lot. Deux mois plus tard, davantage organisés, les maquisards tendent une embuscade à un convoi allemand, à Cambous. Ce 5 août, les équipes de sabotage et les fusiliers ne sont pas encore en position quand des coups de feu claquent : les Allemands sont en avance et leur itinéraire a changé. La canonnade est violente, pendant plusieurs minutes. Quand le combat cesse, les maquisards découvrent le lieutenant Robert Chevallier (à droite), « gisant sur un lit de fougères » à l’orée du bois d’où il scrutait l’arrivée du convoi. Il a été touché par une rafale de fusil-mitrailleur, près du cœur. « Il est immobile, les yeux à demi fermés. Nous sommes impressionnés par son imposante stature, sa haute taille et ses larges épaules. Le rictus qui contracte son visage nous montre qu’il souffre en silence », écrit François Dariès. Le lieutenant de la première compagnie est amené d’urgence à l’hôpital de Lacaune où Robert Chevallier, marié et père d’un enfant, meurt à 39 ans. La section de mitrailleurs dirigée par Jean de Naurois, ci-dessus, rend les hommages à Robert Chevallier, « magnifique figure de chef », lors d’obsèques officielles demandées par la gendarmerie de Lacaune.

Panneau 15 – 14 juillet au maquis

Les démonstrations patriotiques sont un élément important de la vie en Résistance. La gerbe de fleurs aux pieds de la statue de Clemenceau à Paris le 11 novembre 1940 et le défilé du maquis d’Oyonnax le 11 novembre 1943 en sont deux exemples. À l’été 1944, les maquisards de Vabre veulent faire de même et défiler dans le village. Refus catégorique du maire Pierre Gourc et du commandant militaire Henri Combes, qui menace de démissionner si le défilé a lieu au vu de tous au risque de représailles. Les chefs FFI organisent finalement le défilé du 14 juillet 1944 à Viane et dans les bois (à gauche) devant Charles d’Aragon, Pierre Dunoyer de Segonzac et Guy de Rouville (à droite).

Panneau 16 – Mariage au Désert

La clandestinité imposée par la Résistance ne prive pas d’une vie intime et « normale ». Entre les parachutages et les instructions militaires, les maquisards vivent. L’un d’eux, pionnier arrivé dès mars 1943, le montre à la perfection. Le 29 juillet 1944, Louis Cèbe et Isabelle Le Ray se marient, un mois avant la Libération. Un réfractaire au STO devenu maquisard et une réfugiée normande, deux parcours que les bouleversements de la guerre ont réuni. Déjà fort en symbole par son environnement, ce mariage revêt une symbolique encore supérieure à travers son organisation. Le pasteur Robert Cook, à gauche sur la photo, a mission d’unir Louis et Isabelle. Le lieu choisi est Campsoleil, hameau qui a abrité 17 mariages au temps des « dragonnades ». Au XVIIe siècle, les protestants ont été pourchassés par les Dragons du Roi, troupes royales dont une caserne était implantée à Vabre. Pour vivre leur foi et ses rites, les protestants se retrouvaient au « Désert », jusque dans la forêt de Montagnol où une cinquantaine de protestants ont été massacrés en 1689. En miroir de cette tragique histoire restée vive dans la mémoire protestante, le pasteur Robert Cook a lu le texte de prédication déjà lu pour un des 17 mariages du Désert. Le tout sous les yeux de Pierre Boyer (3ème en partant de la droite), adjoint au maire de Vabre que l’on voit tenir le registre d’état civil où l’union est officialisée. Autour de lui, civils et maquisards assistent au mariage.

Témoignage de Louis Cèbe, alias « Grizzly » : « Il est difficile de croire qu’en pleine période de résistance un Grizzly puisse épouser une Hirondelle, appelée Isabelle, comme le dit le maire Monsieur Boyer à la mairie de Vabre dans son discours : “Aujourd’hui, oublions les soucis. Maintenant que vous êtes unis par la loi, partez vite faire bénir votre union, là-haut sur la montagne ; montez vers le champ du soleil, vers la lumière, vers le bonheur.“ Ce 29 juillet 1944, Isabelle perchée sur une bicyclette file comme le vent sur la route de Ferrières à Vabre pour rejoindre son futur maquisard de mari. Il faut dire que si cette union a pu se faire, c’est grâce au pasteur Cook, à Guy de Rouville, au capitaine Combes, à notre lieutenant Gaby et à tous les amis maquisards. Brèves cérémonies à la mairie et au temple, où Robert Cook nous a accueillis avec sa gentillesse habituelle. Pendant ce temps, le maquis gardait les entrées du village pour éviter toute incursion allemande. À la sortie de la mairie, où nous avons été unis, nous obéissons tous à l’invite de monsieur Boyer, nous montons tous, amis et maquisards, vers Campsoleil pour une émouvante cérémonie religieuse. Après cela, buffet champêtre, malheureusement, une charrette, chargée d’un tonneau de vin, n’est jamais arrivée, au grand désespoir de tous les amis réunis, cela n’a pas empêché, grâce à cette amitié qui nous unissait tous, que règne une franche gaîté ce jour-là. »

Panneau 17 – Quinze amis américains

« De la chouette au merle blanc, quinze amis vous diront ce soir que le chargeur n’a que vingt balles. » Quand ce message est passé à la BBC, les maquisards de Vabre ont su que le parachutage du soir apporterait une grande surprise. Ce fut le cas : un commando de quinze soldats américains, en armes et uniformes à bannière étoilée, ont atterri sur le terrain de parachutage « Virgule » dans la nuit du 6 au 7 août 1944. Ces membres du groupe opérationnel Pat de l’OSS, ancêtre de la CIA, ont pour mission de couper les voies de communication de la région entre Toulouse, Bédarieux et Séverac tout en aidant à renforcer les troupes de la Résistance. Le sergent Robert Esquenazi (à gauche) se brise la cheville en atterrissant et fait sa convalescence dans la famille de Rouville. Deux autres membres du commando, Bernard Gautier et Robert Spaur, sont tués le 12 août dans l’embuscade du Vintrou. Leurs corps en uniforme font croire aux soldats allemands que les troupes américaines sont déjà dans la région, alors que le Débarquement de Provence n’a pas encore eu lieu. L’information servira au bluff du 19 août, quand la Résistance fera savoir à la garnison de Castres que « les troupes franco-américaines du Tarn » les encerclent. Le 21 août, au lendemain de la Libération de Castres, le commando américain dirigé par le lieutenant Conrad Lagueux (au milieu) défile avec les Français.

Panneau 18 – 8 août 44, jour mortel

Toute la vallée connaissait le code radio annonçant les parachutages. Quand le septième largage approche, dans la nuit du 7 au 8 août, des badauds viennent au spectacle. Ils ne sont pas seuls : les Allemands aussi savent. Une colonne de blindés fond sur les maquisards de la compagnie Marc Haguenau chargés de sécuriser « Virgule ». Les maquisards ont juste le temps de conduire en sécurité les quatre hommes parachutés, trois agents du BCRA (les services de renseignement de la France libre) et un officier du renseignement britannique, Hector Davies. Le combat s’engage 15 minutes après le largage. Des maquisards tiennent leur position pour permettre aux autres de se replier. Six hommes tombent sous les balles allemandes : le lieutenant Gilbert Bloch, Roger Gotschaux, Rodolphe Horwitz, Idelfino Cavaliere, Gabriel Sicard et Henri Bernard. Un septième, blessé, est fait prisonnier : Lucien Célestin est fusillé cinq jours dans un fossé de la banlieue toulousaine, laissant derrière lui une veuve enceinte de cinq mois. Les noms de ces sept résistants figurent sur la stèle aux morts de Laroque. Après l’attaque du terrain de parachutage, les Allemands pilonnent le cantonnement de Laroque, détruit, et foncent sur le camp de Lacado. Heureusement, la quasi totalité des maquisards a pu se replier dans les forêts, à l’abri de ce violent baptême du feu.

Panneau 19 – Morts pour la France

25 maquisards de Vabre ont été tués, durant leurs combats dans la Résistance ou dans l’Armée de Libération.

  • Germain Records, 30 ans, fusillé avec Louis Pélissier et Jean Cressot en mission dans le Lot le 8 juin 1944.
  • Robert Chevallier, 39 ans, lieutenant, tué le 6 août dans l’embuscade de Cambous.
  • Henri Bernard, 21 ans, tué au combat de Laroque le 8 août.
  • Gilbert Bloch, 24 ans, lieutenant, tué au combat de Laroque le 8 août « après avoir épuisé ses munitions contre les troupes allemandes qui attaquaient le maquis. A été retrouvé dans la position du tireur couché, avec huit balles dans le corps ».
  • Idelfino Cavaliere, 24 ans, tué au combat de Laroque le 8 août.
  • Roger Gotschaux, 31 ans, tué au combat de Laroque le 8 août.
  • Rodolphe Horwitz, 18 ans, tué au combat de Laroque le 8 août.
  • Gabriel Sicard, 22 ans, tué au combat de Laroque le 8 août.
  • Lucien Célestin, 24 ans, blessé et capturé durant l’attaque de Laroque, fusillé le 13 août à Montlaur (Haute-Garonne), « ayant refusé de donner le lieu du poste de commandement de Vabre ».
  • Jean Raufast, 23 ans, tué à l’attaque du dépôt de Vabre le 13 août.
  • Raymond Vittoz, 17 ans, tué à l’attaque du dépôt de Vabre le 13 août.
  • Paul Blaise, 20 ans, mort accidentelle en service commandé le 14 septembre 1944.
  • Pierre Barraud, 18 ans, blessé grièvement « par éclat d’obus en montant à l’assaut », décès le 25 septembre à l’hôpital chirurgical mobile « de blessures reçues à Mont-de-Vannes (Haute-Saône).
  • Paul Ortega, 20 ans, mort au combat, touché par une balle à la tête « en se portant au secours d’un camarade blessé », au Mont-de-Vannes le 25 septembre.
  • Simon Weil, 20 ans, tué au combat à Rochesson (Vosges) le 14 octobre.
  • Abraham Lifschitz, 20 ans, brigadier, tué au combat à Xonrupt (Vosges) le 22 novembre.
  • François Bourguet, 18 ans, tué au feu au Col de la Schlucht (Vosges) le 5 décembre.
  • André Albert, 19 ans, « blessé au cours d’un combat à Gérardmer (Vosges) alors qu’il faisait partie du 12ème Dragons », mort des suites de ses blessures le 11 décembre à Remiremont.
  • Claude Arlic, 20 ans, « tué à l’ennemi à Ibersehem (Bas-Rhin) » le 2 janvier 1945.
  • Hubert de Seynes, 20 ans, tué à Oberhergheim (Bas-Rhin) le 24 février.
  • André Pujol, 25 ans, tué « par l’éclatement d’une mine » à Fessenheim (Haut-Rhin) le 26 février.
  • Pierre Cavailles, âge inconnu, tué en Allemagne le 27 mars.
  • Jean Sizabuire, 36 ans, tué à Royan (Vendée), lors du déminage d’une plage « battue par le tir ennemi », aidant « à assurer la tête de pont qui a permis le passage du régiment ».
  • René Ichard, 17 ans, mort accidentelle en service le 1er mai.
  • Jean Bayle, 36 ans, tué à la bataille de Diên Biên Phú (Vietnam) durant la Guerre d’Indochine le 6 mai 1954.

Panneau 20 – L’attaque du train

Les premières journées d’août 1944 charrient un terrible bilan : sept morts le 8 août, puis deux tués le 13, Raymond Vittoz et Jean Raufast abattus en pleine rue à Vabre. Le Débarquement de Provence, le 15 août, marque le passage à l’insurrection pour les maquis tarnais. Les accrochages et combats se multiplient avec les forces allemandes. Pierre Dunoyer de Segonzac veut passer à l’action : la Résistance sait qu’un train va quitter Mazamet pour Castres, le chef des FFI de la Zone A propose au commandant allemand de se rendre pour s’épargner un assaut. Proposition refusée. Pierre Dunoyer de Segonzac décide d’une embuscade sur le train : « Je choisis de disposer ma troupe de part et d’autre de la voie ferrée entre Mazamet et Labruguière à deux kilomètres environ de cette petite localité. Le groupe Nord était aux ordres d’un chef d’escadron de l’armée active qui était venu récemment me proposer ses services dans un élan louable mais tardif. Le groupe Sud était à ma disposition directe. Le commando américain avait pour mission de faire sauter la locomotive à un endroit précis, ensuite un feu général et massif serait déclenché sur l’ensemble du train. Enfin, je disposais d’un petit mortier de 60, je le confiais à mon frère Jean en lui demandant de prendre la voie ferrée dans son axe. » Le soir du 19 août, la bataille est prête à être engagée.

L’explosion préparée par les Américains et activée par François Lévy a l’effet voulu : le train est stoppé. Le combat commence dans la soirée, soutenu : « Ma troupe tirait comme tirent les bleusailles c’est-à-dire éperdument et les allemands ripostaient avec ardeur », relate Pierre Dunoyer de Segonzac. Jean-Pierre Rouchié a dessiné le feu d’artifice des canonnades. Chacun à son poste, les maquisards se battent, à l’instar d’Henri Heller qui préserve sa mitrailleuse d’une surchauffe qui la ferait s’enrayer. Onze maquisards sont blessés pendant les combats, tous soignés avec l’aide du service médical du docteur Gabriel Nahas. Tous soignés, mais pas tous sauvés : le gendarme Lucien Rulaud succombe. C’est la seule victime du côté des maquisards, contre quatre tués chez les Allemands. Au matin du 20 août, les défenseurs du train contenant des canons antiaériens, des armes et un butin de guerre se rendent à leurs assaillants. 56 soldats allemands sont faits prisonniers. Interprète, Léon Neugewurtz leur assène : « Ich bin Jude. » Pour seule vengeance, les résistants juifs revendiquent en allemand leur identité : « Nous sommes juifs ! »

Panneau 21 – Libération de Castres

L’attaque du train de Mazamet a eu un rôle majeur pour la Libération de Castres, mais pas à elle seule. L’action des différents groupes de résistance a été décisive : l’insurrection a commencé le 15 août à Carmaux ; de violents combats ont opposé les renforts allemands aux maquisards du nord du Tarn dans les jours suivants autour d’Albi ; une colonne allemande quittant Albi pour Castres est interceptée par des résistants et pilonnée par l’aviation anglaise le 19 août à Mousquette. Ces différents événements, peu coordonnés mais au fort impact moral pour l’occupant, ont participé à la Libération du Tarn.

La Libération de Castres a été le fait de plusieurs groupes, dont ceux des Maquis de Vabre et du Corps Franc de Sidobre. Au préalable, des négociations ont été organisées dans une villa de Castres, celle du capitaine FFI Jacques Lamon alias Dumoulin, le soir du 19 août, journée des combats du train et de Mousquette. L’état-major allemand de Castres venait de recevoir un ultimatum signé par Durenque, alias de Maurice Redon, chef des FFI du Tarn. Il y a écrit à l’attention du commandement allemand : « Vous êtes définitivement encerclés : les troupes franco-américaines du département du Tarn convergent vers vous. Votre situation est désespérée. Si vous vous comportez en adversaires loyaux, nous saurons nous montrer chevaleresques. Rendez-vous sans conditions, vous serez traités suivant les lois de la guerre. Sinon dans quarante-huit heures, nous vous attaquerons avec toutes nos forces et le concours de l’aviation. » La menace est en réalité un immense bluff : les « troupes franco-américaines » ne comptent que le commando de quinze américains parachuté début août, l’aviation citée est celle qui a détruit une colonne allemande à Mousquette, sans certitude qu’elle ne revienne en soutien. Quant au dit « encerclement », il n’est opéré que par 400 résistants positionnés aux abords de Castres. Mais le bluff fonctionne : la réunion du 19 août se tient en présence du capitaine Lamon et de Pierre Dunoyer de Segonzac épaulés de Pierre Kauffmann, maquisard germanophone des Éclaireurs israélites à Vabre, face au colonel Marsch et à son adjoint März. Ce dernier a été intime d’une jeune femme originaire de Vabre, laquelle livrait les informations obtenues à la Résistance. C’est un des éléments majeurs du bluff : sachant l’occupant démoralisé grâce à cette espionne, l’état-major FFI a pu agir en conséquence. Le matin du 20 août, la reddition sans condition des 4 000 soldats allemands de Castres a été actée. Elle a été effective le soir, avec l’internement des milliers de prisonniers au stade de rugby. Le 21 août, maquisards et habitants ont défilé dans la ville. Cette célébration a été marquée par la joie de la liberté retrouvée, mais aussi par les premières actions d’épuration sauvage.

Panneau 22 – Banquet de la Victoire

Pendant que la troupe défaite a été parquée dans l’actuel stade Pierre-Fabre, les officiers, sous-officiers et leurs secrétaires ont été transférés dès le 21 août vers Vabre. Au total, une centaine de prisonniers ont embarqué à Castres dans le Tortillard : six officiers, 79 sous-officiers et soldats, 13 femmes et trois enfants. Sous la garde de gendarmes et du lieutenant Werner Harlan accompagné de René Fuchs, les gradés allemands toujours dotés de leurs armes personnelles (condition de la reddition) ont pris le chemin de fer que les maquisards venaient de descendre pour libérer Castres. « Le trajet se faisait sans incident et arrivé à Vabre, les Allemands sont sortis des wagons pour s’aligner par rangs de quatre sur le quai », s’est rappelé Werner Harlan. « Les anciens n’ont pas oublié l’arrivée des officiers prisonniers avec leurs ordonnances et femmes. Certains civils vabrais ont été mobilisés pour les garder, nos maquisards étant en charge du maintien de l’ordre à Castres », explique Guy de Rouville. Cette situation épique va durer trois semaines, avec un événement clef. Le 31 août 1944, la Fête de la Libération se tient à Vabre. C’est le premier événement public officiel pour les maquisards sortis de l’ombre. Un défilé est organisé, avec garde à vous devant le monument aux morts de la commune. Guy de Rouville et Henri Combes déposent une gerbe en présence du maire Pierre Gourc, puis Odile de Rouville et deux enfants réfugiées de Lorraine font de même. Après la cérémonie, un banquet est servi aux maquisards sur la place centrale du village. Des sous-officiers allemands ont été mobilisés parmi les prisonniers pour effectuer le service. C’est la seule « vengeance » dont ont fait preuve les maquisards envers l’ennemi vaincu. Tous les prisonniers ont été transférés au 10 septembre vers les camps de Saint-Sulpice et Brens, dévolus à l’internement des juifs et des étrangers durant l’Occupation.

Panneau 23 – Maquisards

Le registre des maquis de Vabre liste 463 noms d’hommes engagés dans la montagne du Tarn, soutenus par des femmes et des anonymes qui ont fourni une aide décisive à la Résistance. L’Amicale des maquis de Vabre préserve l’histoire de tous. Les photos permettent de rendre à chaque nom son visage et d’honorer la mémoire de ces combattants de la liberté.

De gauche à droite, par ligne :

L’Amicale des Maquis de Vabre souhaite identifier le maximum de maquisards. Pour l’heure, nous avons connaissance des visages de 55 maquisards sur 463. Si vous avez des photographies identifiées d’anciens résistants de nos maquis, écrivez-vous à : amicale@maquisdevabre.fr

Panneau 24 – Du Tarn vers le front

La fête du 31 août a aussi été l’occasion d’un dernier au revoir avant le départ pour le front. Parmi les 463 hommes inscrits au registre du maquis, environ la moitié s’est engagée pour poursuivre le combat au sein de l’Armée de Libération. Le bureau de recrutement a ouvert dès la prise du quartier Fayolle à Castres, avec pour objectif de renforcer les troupes françaises débarquées en Provence. Les dossiers militaires des incorporés portent la mention « EVDR » pour « Engagé volontaire pour la durée de la guerre ». Les volontaires partent mais ne savent pas quand ils retrouveront leurs foyers. « Ils sont enthousiastes et désireux de se battre », relève le major Hector Davies. L’officier britannique parachuté début août estime toutefois que la troupe n’est pas prête au combat : « Les hommes sont en gros sans entraînement pour des opérations régulièrement organisées et, à l’heure actuelle, ils sont mal armés, mal habillés et équipés de manière insuffisante. » Les unités changent : le CFL n°10 devient Corps Franc Bayard, avant de prendre un court temps la dénomination officielle de 3ème régiment de Dragons. Jean Hirsch décrit les « vieux camions poussifs » repeints avec l’étoile alliée, prêts à conduire les hommes jusqu’au front. Jean-Pierre Rouchié, alias Robinson, est de l’aventure : « Nos gros camions font des prodiges […] Impression que notre colonne est honnête, propre et pleine d’allure. La fantaisie l’habite aussi… »

L’honnête colonne commandée par Pierre Dunoyer de Segonzac gagne Nevers, libérée le 7 septembre, puis effectue la jonction avec la Première Armée de Libération après Autun, à Lure. Avant de combattre, il faut une dernière fois rebaptiser le 3ème régiment de Dragons. Involontairement, ce nom est celui du régiment de l’armée d’armistice qui a mis Jean de Lattre de Tassigny aux arrêts en 1942. Le général opère un ultime changement : ce sera le 12ème régiment de Dragons, celui dans lequel il servait en 1914. Le major Davies imaginait que les anciens maquisards seraient une force prête et utile « au printemps » 1945, mais leur premier engagement a lieu dès le 24 septembre 1944 au bois du Mont-de-Vannes. Quatre hommes du régiment sont tués, dont deux passés par les maquis vabrais : Paul Ortega et Pierre Barraud, 20 et 18 ans. Les troupes progressent jusqu’aux contreforts des Vosges. Le 14 octobre, les violents combats de Rochesson font trois morts : Julien Gonzales, Heindrich Kiel et Simon Weil, âgés de 20 à 35 ans. Ces âpres batailles ne sont qu’un début : les mois de novembre et décembre seront sanglants.

Panneau 25 – L’assaut de la Schlucht

Depuis l’invasion allemande de 1940, l’Alsace et la Moselle sont de nouveau annexées au Reich, comme après la guerre de 1870. Territoire ô combien symbolique à libérer pour les Français, notamment les nombreux alsaciens des maquis vabrais, c’est aussi une terre à défendre coûte que coûte pour les armées allemandes : les Vosges marquent la frontière entre la France et l’Allemagne.

Le 12ème régiment de Dragons est engagé en direction de Gérardmer début novembre. Les combats s’intensifient à mesure que la frontière approche. Trois tués dans le secteur de Sapois début novembre, sept à la fin du mois à Xonrupt, dont Abraham Lifschitz âgé de 19 ans. C’est sur les hauteurs de ce village qu’est prise la photo. Malgré ces lourdes pertes, le régiment atteint le Col de la Schlucht, montagne à prendre.

La bataille du Col de la Schlucht s’engage le 3 décembre. « Mauvaise journée comme temps et comme résultat. Sept morts, cinq ou six blessés », récapitule Guy de Rouville après la première journée d’engagement. La progression est rendue infernale par la neige et les mines, abondantes. Une semaine d’intenses combats coûte la vie à douze soldats, dont deux passés par Vabre : François Bourguet et André Albert, morts pour la France à seulement 18 et 19 ans. Le médecin Gabriel Nahas, en charge du service de santé du régiment, relève à quel point les troupes sont abîmées par les mois de combat : de 810 hommes avec un « état sanitaire bon » au 25 septembre 1944, ils sont désormais 445 avec un « état sanitaire critique » au 9 décembre. Ces victimes n’ont pas été vaines : le Col de la Schlucht est pris à la mi-décembre, le régiment y passe Noël. Pas de féérie pour ce dernier Noël de guerre, ainsi que le relate Jean-Pierre Rouchié : « Tous rêvent d’être ailleurs qu’à la Schlucht. La nuit est descendue très verlainienne avec un tout petit croissant de lune et du givre décorant les barbelés. À présent commence l’obsession de Noël : grosse belle bûche, table mise avec une grande nappe blanche au fond d’un parc derrière de hauts murs, luxe des candélabres. Pour avoir tout cela, il va falloir serrer nos paupières très fort. »

Panneau 26 – Bientôt l’Allemagne

Le 12ème régiment de Dragons a été relevé à la fin du mois de décembre 1944, pour un mois de repos et d’entraînement. Ce temps de pause est le premier depuis le départ du Tarn en septembre. La bataille d’Alsace est marquée, en janvier 1945, par une contre-offensive allemande stoppée au bout de trois semaines de combats. Quand le 12ème régiment de Dragons reprend sa place sur le front en février, leur objectif est double : participer à l’encerclement de Colmar et tenir une partie des bords du Rhin. Depuis leur rive du fleuve frontalier, les troupes allemandes pilonnent régulièrement les troupes stationnées en Alsace. Des raids à travers le Rhin ont aussi lieu, sans oublier les mines. Alors que la Poche de Colmar est prise le 9 février, le régiment perd encore sept hommes entre les 20 et 24 février autour de Fessenheim, dont Hubert de Seynes et André Pujol, 20 et 25 ans. Ce seront les dernières victimes sur le front est avant le passage du Rhin et l’entrée en Allemagne à la fin avril. Certains anciens maquisards vabrais combattent à l’ouest, sur le front Atlantique où des forces allemandes ont tenu leurs bases jusqu’aux derniers jours de la guerre. Jean Sizabuire est tué à Royan le 14 avril lors du déminage d’une plage « infestée de mines et battue par le tir ennemi », aidant « à assurer la tête de pont qui a permis le passage du régiment ».

Panneau 27 – La Victoire, le Général

L’entrée en Allemagne s’est faite sans heurts pour le 12ème régiment de Dragons : les mois de mars et avril 1945 ont été consacrés à l’entraînement. Il s’agissait de réparer une incohérence : officiellement régiment de cavalerie, le 12ème Dragons ne disposait jusqu’alors d’aucun blindé. Ces mois de printemps sont donc le temps attendu de « l’instruction blindée sur Brenn-Carrier » et de « la perception de chars légers Hotchkiss H40 récupérés sur les Allemands », signale Arsène Woisard. L’entrée en Allemagne se fait avec ces nouveaux véhicules, à travers la Forêt noire et jusqu’à la ville balnéaire de Constance, à l’extrême sud de l’Allemagne et frontalière avec la Suisse.

Le 7 mai 1945, l’ordre de cessation des hostilités est communiqué par radio : l’Allemagne nazie capitule officiellement le 8 mai, la guerre est gagnée et surtout finie. Des tirs de balles traçantes illuminent le ciel. Le 12ème régiment de Dragons stationne à Constance et devient une force d’occupation. Le 21 mai 1945, le général Charles de Gaulle visite la ville et les troupes françaises avec le général Jean de Lattre de Tassigny. C’est l’occasion d’un grand défilé auquel le 12ème régiment de Dragons participe. La photo montre le général de Gaulle effectuant la revue des troupes. Tout à gauche, on reconnaît le colonel Pierre Dunoyer de Segonzac.

Panneau 28 – Du maquis au triomphe

Un autre défilé marque la participation des maquisards tarnais aux combats de la Libération. Le 18 juin 1945, cinq ans après l’appel lancé depuis Londres par Charles de Gaulle, les armées de la France libre roulent sur les Champs-Élysées, en présence du général. C’est la Fête de la Victoire. Le défilé est ouvert par les chars de la 2ème DB du général Philippe Leclerc. Les soldats du 12ème régiment de Dragons marchent derrière Pierre Dunoyer de Segonzac et passent en rangs serrés sous l’Arc de Triomphe.

Panneau 29 – De souvenir à mémoire

La commémoration nationale du 18 juin est suivie, pour les Tarnais, d’une cérémonie locale sur les hauteurs de Lacaze. À quelques centaines de mètres du cantonnement de Laroque, une stèle est inaugurée en août 1945 par les anciens maquisards et nouveaux vétérans. La stèle de granit, sous la forme d’un menhir et gravée d’une Croix de Lorraine, comporte les noms des tués du 8 août 1944 et adresse un message aux générations futures : « Passant, accorde une pensée aux sept combattants tombés ici pour que tu vives libre. »

La volonté de sauvegarder la mémoire de la Résistance est née, pour Vabre, dès le 1er janvier 1945. À l’initiative de Guy de Rouville, Henri Combes a déposé les statuts de l’Amicale des Maquis de Vabre. L’objectif de cette association était d’abord de préserver les liens nés au maquis et d’assurer une entraide aux anciens résistants. Cette solidarité s’est perpétuée par l’organisation d’anniversaires, d’abord tous les dix ans puis tous les cinq ans à partir des années 1990.

Afin de sécuriser cette mémoire, plusieurs initiatives ont été prises au fil des ans. Marc Schoenenberger a joué un rôle immense dans la préservation et la collecte d’archives relatives à la Résistance jusqu’à son décès en 1993. Odile de Rouville a pris sa relève dans cette tâche considérable tandis que Guy de Rouville présidait l’Amicale. Un espace d’exposition d’objets, de photographies et de témoignages a été et demeure ouvert à Vabre. En 1994, un recueil de témoignages réédité en 1999 a fixé les souvenirs des anciens maquisards, intitulé Le Chargeur n’a que vingt balles en référence au message codé de la BBC annonçant les parachutages. Tristan Denis, petit-fils de Guy et Odile de Rouville, a conçu et richement alimenté le site internet de l’Amicale de 2000 à 2021. 80 ans après la Libération du Tarn, présidée par Xavier de Rouville, l’Amicale des Maquis de Vabre est vivante et active pour assurer la continuité de l’héritage légué par celles et ceux qui se sont levés pour leurs libertés.

Remerciements et crédits

Le Pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) des Hautes Terres d’Oc remercie tous les participants au groupe de travail : Michel Cals, Nathan Calvère, Bérangère Detolsan, Marie Wiltord-Riboulet, Elodie Pages, Camille Viaules, Simon Louvet, Noëlle Salvy et les membres de l’Amicale des Maquis de Vabre. Merci à Simon Louvet pour la rédaction des textes et la conception de l’exposition.

L’Amicale des Maquis de Vabre remercie le PETR des Hautes Terres d’Oc pour son soutien actif à la sauvegarde de cette mémoire.

Photographies : Amicale des Maquis de Vabre
Textes : Michel Cals et Simon Louvet