[…] Mon propos n’est pas d’estimer la valeur future du groupement [du Sud-Ouest] en tant que force militaire. Bien sûr, les hommes sont en gros sans entraînement pour des opérations régulièrement organisées et, à l’heure actuelle, ils sont mal armés, mal habillés et équipés de manière insuffisante. Toutefois, ils sont enthousiastes et désireux de se battre, et si l’on peut s’organiser tout de suite pour les équiper et les entraîner, il sera possible d’en faire une force utile pour une campagne de printemps. […]
« Aux armes citoyens » par le Major Davies – Traduction OdR
[…] Après tout est simple – si l’on peut dire…
Arsène Woisard
Le Commandant quitte rapidement Castres avec son Corps Franc Bayard (ex Corps Franc de la Libération N° 10) qui deviendra le 12ème Dragons pour rejoindre la 1ère Armée. Là aussi quelques flashs souvenirs. Mais ils n'ont plus la douceur des nuits d'été des monts de Vabre. C'est la guerre - la vraie - dans le froid, la pluie avec des équipements inadaptés et insuffisants. Les effectifs s'amenuisent à mesure que vient le terrible hiver 1944-45 dans les Vosges avec les combats qui débutent au Mont de Vannes pour s'achever au col de la SCHLUCHT.
Devenu Régiment de reconnaissance de la 14ème DI c'est l'instruction blindée sur BRENN-CARRIER entrecoupée de garde au RHIN. Puis après perception de chars légers HORHKISS H40 (récupérés sur les allemands) la traversée du RHIN et la poursuite au travers de la Forêt Noire et le 8 mai le festival de tirs des mitrailleuses à balles traçantes au dessus du lac de Constance. Dernier avatar nous percevons, enfin, du matériel moderne. D'origine anglaise il comporte des casques plats typiques de Tommies et des chars... mais ce sont des chars de commandement avec des canons factices en tôle !!! Et pour finir : Je quitte l'Armée en 1994, Général de Corps d'Armée, Inspecteur de l'Armée Blindée Cavalerie, titulaire de plusieurs décorations dont la Médaille d'Honneur en Or de la Bundeswehr !!! PS. Sans vanité d'auteur, cet articulet peut être caviardé en tant que de besoin !
Dès l’installation des unités de maquis de la zone A au quartier Fayolle de Castres le lendemain de la libération du Tarn, le Commandant Hugues était décidé à ouvrir un bureau de recrutement pour créer une unité militaire en mesure de rejoindre la 1ère Armée débarquée le 15 août en Provence sous le commandement du Général de Lattre de Tassigny. Plus de 200 de nos maquisards vont s’y inscrire…
Guy de Rouville / Pol Roux
A Castres, où nous sommes affectés à la caserne Fayolle, dévorés par les punaises laissés par les allemands, nous préférons dormir sur les pavés de la cour.
Journal de marche de la famille Gauthier (Guy, Gaston, Bernard), tenu par Guy
Nous les trois Gauthier nous sommes un peu déboussolés, perdus dans ces nouvelles unités. Nous sommes affectés au 3ème Régiment de reconnaissance, chef d’escadrons Dunoyer de Segonzac.
Gaston qui est militaire de carrière est chargé du camion de ravitaillement.
Bernard et moi (Guy) nous n’avons pas fait de service militaire. Nous devenons cavaliers motocyclistes. Je touche une magnifique moto Terrot 500 cc avec side-car sur lequel nous installons un F.M.
6 septembre, départ par le train. D’autres partent avec des camions gazogène, c’est le début d’une nouvelle aventure.
Dans la cour de la caserne, nos camions repeints de gris fer, timbrés de l’étoile blanche des alliés, sont rangés comme à la parade. Braves vieux camions poussifs, vous nous avez rendu de fiers services ! Votre calvaire n’est pas terminé : vous allez connaître les routes défoncées des Vosges, la boue et le verglas. Plusieurs d’entre vous succomberont à la tâche.
Le 6 septembre au soir, le train qui nous emmenait vers le nord-est s’est ébranlé. Nous quittions donc la Tarn vers d’autres combats. Nous laissions ici beaucoup d’amis, des tombes, des souvenirs… Le Capitaine Combes, retenu par son devoir professionnel, n’a pas pu nous suivre et c’est avec émotion que nous nous sommes séparés de lui.
Jean Emile Hirsch (maquisard E.I.F.)
Ô combien sont délicieux les petits chemins d’alors que les ponts coupés, minés, nous obligent à prendre. Nos gros camions font des prodiges […] Impression que notre colonne est honnête, propre et pleine d’allure. La fantaisie l’habite aussi…
« Les nouvelles compagnies franches du Tarn », Jean-Pierre Rouchié Robinson, équipe d’Uriage
Dessins de Michel Mare
[…] 48 heures plein de vie. Je suis arrivé ici vendredi pour déjeuner avec Hugues. Reparti à moto à la rencontre colonne auto […] Pendant ce temps, les deux trains étaient arrivés et hommes débarqués […] Autun a été libéré hier par les troupes de Pommiès (Groupe de Toulouse aussi) et le 2ème Dragons d’Afrique débarqué.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, La Palisse, dimanche 10 septembre 1944
Entête : F.F.I. Tarn – Groupe mobile R4 – Corps Franc du Sidobre « Comme un roc » – P.C. du Commandant
[…] Une mission m’a amené ici [à Autun] libéré depuis samedi […] Hier matin deux grosses colonnes allemandes ont essayé de forcer le passage d’Autun, seule plaque tournante pour eux. Résultat : 2 redditions au Colonel de Metz (2ème Dragons portés d’Afrique du nord), 2500 prisonniers d’un côté, 1200 de l’autre, matériel très important. Notre colonne sur route doit arriver aujourd’hui enfin.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, Autun, 12 septembre 1944
Entête : F.F.I. Tarn – Groupe mobile R4 – Corps Franc du Sidobre « Comme un roc » – P.C. du Commandant
15 septembre. Tout le corps franc s’est retrouvé et attend la visite du Général de Lattre. Il vient avec quelques généraux et les « partisans » que nous sommes se demandent s’ils vont être pris en considération.
« Les grandes manœuvres », Jean-Emile Hirsch (maquisard E.I.F.)
Le premier contact entre de Lattre et les chefs F.F.I. ne fut pas particulièrement heureux. Celui-ci joua un peu au grand patron et les F.F.I. se retirèrent un peu désappointés. Ils considèrent avec justesse que leur contribution à la libération du Sud-Ouest [de la France] a été substantielle et acquise sans assistance d’armées régulières, tandis que les réguliers qui ont eu les oreilles rebattues d’histoires interminables et plutôt exagérées par tel ou tel maquisard, se mettent maintenant à sous-estimer le bon travail que les F.F.I. ont réellement accompli.
Major Davies – Traduction OdR
Les portes s’ouvrent, les grandes portes de la guerre. L’ennemi est arrêté à quelques kilomètres de Lure, dans les bois. Il nous arrête aussi. Pomoy, dernier village de paix.
« Les nouvelles compagnies franches du Tarn », Jean-Pierre Rouchié Robinson, équipe d’Uriage
Lire aussi le témoignage de Guy de Rouville sur le 12ème Dragons.
Je suis arrivé à Clermont à 12h15 étant parti à 6h40, en auto. Rien à signaler sinon deux longues coupures et arrêts par les F.T.P. Je vais essayer de resquiller un peu de gazole et des pneus […]
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 22 septembre 1944
Entête : F.F.I. Tarn – Groupe mobile R4 – Corps Franc du Sidobre « Comme un roc » – P.C. du Commandant
Après les jours fastes de la Libération que nous avions vécus dans le Tarn, nous ne devions pas oublier que la guerre se poursuivait intensément dans les régions que nous abordions. Tel fut bien l’esprit dans lequel le commando que constituait au sein du 3ème Dragons mon ancienne section du maquis, prit alors la route sur ses gazogènes. Le trajet fut interrompu à plusieurs reprises pour nous permettre d’effectuer sur le bord de la Loire des reconnaissances et monter quelques embuscades. […] J’ai noté, sur la route de Beaune à Dijon, des cantonnements royaux auprès des caves dont les propriétaires nous firent les honneurs avec générosité.
L’esprit de ma troupe n’en était pas moins fortement troublé et j’ai retrouvé dans mes notes les traces de l’amertume et de l’inquiétude que j’éprouvais alors : l’intégration des F.F.I. à l’armée supposait qu’individuellement ils confirment par écrit leur engagement. Ce fut une épreuve pour certains qui redoutèrent d’abandonner la liberté que la clandestinité leur avait fait acquérir et dont ils pouvaient croire qu’ils jouiraient éternellement. Étrange révélation des sentiments qui en avaient poussé un grand nombre vers le maquis.
« Mémoires pour mes fils » (extraits), Jacques Desazars de Montgaillard (maquisard C.F.L. 10 Vabre). Transmis à Pol Roux en 1994
[…] Le vieux Chef est ravi de ma mission (à Paris) et m’a annoncé […] que nous étions rattachés directement au Général du Vigié, Commandant de la 1ère D.B. Et nous partons (les troupes) en direction de Belfort. Mon vieux rêve d’être un des premiers à rentrer en Alsace va enfin se réaliser.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 25 septembre 1944
Entête : F.F.I. Tarn – Groupe mobile R4 – Corps Franc du Sidobre « Comme un roc » – P.C. du Commandant
Les 3 commandos ont été engagés 48 heures sans arrêt. Aucune perte chez nous Montagne. Nous sommes à 2 km des boches encore dans les bois […] moral formidable […] Il fait un temps épouvantable, il pleut 20 heures sur 24, il y a 20 cm de boue partout. Les hommes des commandos sont maintenant au repos, il était temps. Ceux d’Audibert et Gastines sont à 30 kms en arrière. Notre adresse pour tous : Corps Franc de Segonzac, Groupement Schneider, Armée française de Dijon-gare, en indiquant que c’est en attente d’un secteur postal. Dis à Combes de le mettre dans la presse.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, jeudi 28 septembre 1944. Sur carte postale.
Nous sommes au contact du boche et la canon tonne régulièrement […] Au P.C. d’Armée il y a le Capitaine Jean-Brice de Bary, ex-condamné à mort. Je pense avoir organisé en partie le service de la poste […] Fais le mettre dans les journaux de Toulouse et du Tarn. Téléphone à Bobine [épouse de Segonzac]. Les commandos sont bien reposés et prêts à remettre ça ! Cook est en grande forme, il a même piqué une bagnole pour lui !
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, soir du jeudi 28 septembre 1944. Sur carte postale, lettre fermée .
Lettre manuscrite de protestation du Cdt de Segonzac sur la manière dont on traite son unité de volontaires F.F.I. du Tarn depuis qu’elle a rejoint l’armée régulière. 4 pages (ici la dernière page avec signature). A noter : il s’agit d’une photocopie ancienne de qualité médiocre, marquée E2, qui se trouve dans les archives du maquis de Vabre sans autre indication d’origine. Le contexte permet de dater l’original du 5 Octobre 1944 soit une huitaine de jours après la rencontre nocturne du chef du Corps Franc Bayard avec le Général de Lattre, mais la lettre qui commence par « mon général » ne porte pas de nom ni d’adresse du destinataire. Le ton de la lettre est à la limite de ce qui est autorisé envers un supérieur hiérarchique :
[…] Le Tarn s'est libéré lui-même. […] Agissant en indépendant pour faire la guerre, j'ai conservé le grade que j'avais dans l'armée d'active et je n'ai reçu aucune distinction d'aucune sorte.J'estime donc avoir le droit d'exprimer mon opinion avec vigueur. Il y a deux mois, pris par les allemands, j'aurais été immanquablement fusillé si je ne m'étais échappé. Il m'importe peu d'être orthodoxe à l'heure actuelle. Mes hommes sont venus du Tarn, honnêtement, en volontaires, pour achever la libération de leur pays et pour ensuite y établir un ordre satisfaisant. J'avais fait cependant remarquer au Commandant de l'Armée régulière dès le premier contact qu'on ne pouvait utiliser de jeunes garçons physiquement fatigués, dénués de l'essentiel, sans les équiper, les armer, prévoir leur instruction et leur organisation sur le type normal. […]
La protestation du Cdt de Segonzac porte sur les promesses non tenues de relève et de ravitaillement pour ses « malheureux gamins » qui se battent en première ligne, sans trêve et sans repos dans les bois et sous une pluie battante. Mais il demande aussi qu’on le rattache enfin à une division bien définie de l’armée régulière et que cesse le mépris vis à vis « d’une troupe qui demande à ne pas être considérée comme un élément de 3ème zone pour pouvoir retrouver l’atmosphère d’enthousiasme, de confiance et de renouveau qu’elle espérait si ardemment rencontrer« .
[…] Mais l’ordre de mouvement arrive et dans la nuit du 24 septembre les Commandos repartent en gazogène jusqu’au environs de Lure. Au petit matin sous la pluie ils s’élancent aux côtés du 1er Zouave à l’assaut des Bois du Mont de Vannes, crêtes boisés qui défendent les avancées de Belfort.
Ce fut pour chacune de ces unités le baptême du feu. Baptême particulièrement sanglant, pour les indigènes d’Afrique que cette guerre de sous bois désemparait totalement.
Le Service de Santé connut peu de répit. Il se dépensa sans compter. Du côté des Commandos, le Médecin Lieutenant Nahas secondé par le Docteur Ambroise, venu des maquis du Tarn donnait un un coup de main aux brancardiers des Zouaves. A trois reprises il alla relever les blessés à quelques mètres des mitrailleuses allemandes (voir citation).
Il avait une tenue très pittoresque : des culottes de cheval et des chaussettes blanches qui devinrent rapidement noires; en bandoulière une musette à masque à gaz remplie de pansements et lui couvrant la tête et les épaules une toie cirée fixée sous le menton à l’aide d’une pince de Kocher.
[…] Georges [Schlumberger, frère d’Odile] a été tué d’une balle explosive en pleine poitrine le 4 octobre, près de Servance […] Il a été enterré par le Pasteur Meyer de Marseille, pasteur de la Division […]
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, lundi 9 octobre 1944
Entête : F.F.I. – P.C. du Commandant
Les commandos formés en groupes d’escadrons sous les ordres de Martin [Jean de Segonzac] sont remontés en ligne hier soir avec le 2ème Spahis […] En ce moment je monte les transmissions des groupements et ce n’est pas une petite affaire car on ne touche aucun matériel. Le moral reste bon. Il faut que d’ici 15 jours je sois à Guebwiller sinon cela durera longtemps et la boue est odieuse. Les Vosges sont ravissantes.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, lundi 9 octobre 1944
Entête : F.F.I. – P.C. du Commandant
[…] Les deux aumôniers ont été blessés par le même obus, Robert [Cook, pasteur] à la main, le Père au cou. Il fait toujours aussi mauvais. Déjeuner hier à la popote du Cabinet Delattre avec [Jean-Brice] de Bary et […] le député démocrate populaire de Thionville, que connait Reille-Soult, il lui envoie mille amitiés. Vu aussi à Remiremont André Chamson, adjoint d’André Malraux, Chef de la brigade Alsace-Lorraine et camarade de cellule d’André à [la prison] St Michel [de Toulouse]. Dis à maman que Nicole de Brignac doit venir incessamment, elle a 4 galons et est grand chef de toutes les femmes de l’Armée.
[…] Dis à Combes de faire une enquête très approfondie lors du passage de François [Harlant], sur des disparitions de sucre en particulier, avec demande de sanctions très graves.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 16 octobre 1944
Entête : F.F.I.
[…] Le courrier part à midi pour Toulouse comme tous les jeudi et les lundi. Hier j’ai été voir Cook et l’Abbé à l’hôpital de Besançon. Cook n’en a que pour quelques jours, mais l’Abbé a eu un éclat dans la jambe, un dans la main, un caillou est rentré dans le cou et s’est arrêté à la colonne vertébrale. Il y avait avec eux Yves Oberkampf à qui on a dû couper la jambe droite. Yves était au 2ème Dragons avec Demetz. Il a un moral magnifique, pauvre gars. Je suis ensuite allé à Citeaux voir le Père Supérieur pour lui demander un Père. Sans succès, mais réception sympathique. Je vais aller à Dijon chez les Dominicains […]
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, jeudi 19 octobre 1944
Papier sans entête
[…] Depuis 6 jours pas de pertes car nous sommes sur la défensive. Quelques obus de temps en temps. Je suis chargé des transmissions, je le fais avec zèle car il s’agit de trouver à droite et à gauche du matériel radio. Envoie-moi par Ferrand à St Amans :
1. Une lampe torche
2. Par l’intermédiaire de Daniel [Résistance PTT de Castres] :
– 1 routin 4 directions
– 4 ou 5 postes téléphoniques
– si possible un routin 8 directionsDis à Ferrand d’essayer de trouver des batteries soit à Clermont-F. soit à St Etienne […]
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 22 octobre 1944
Le lundi et le jeudi une voiture part de Genlis (colonne Schneider) pour Toulouse, arrive le lendemain et repart aussitôt et le vaguemestre d’ici va à Genlis tous les 3 jours. Si tu as des occasions pour Toulouse apporte la lettre au Lt Tourelle, officier de liaison de la colonne Schneider au P.C. du Général Bertin, 9 rue [???] qui contourne le Gd Rd à l’angle des allées Mistral.
Entête (au crayon) : Corps Franc Sidobre
Gaby [Docteur Nahas] qui t’apporte cette lettre te donnera des nouvelles et la position du Corps Franc Bayard […] Je me régale à piquer à droite et à gauche du beau matériel [de transmission].
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 26 octobre 1944
Hier en passant à Lure, j’ai vu Rémy [Schlumberger, ainé des 3 beaux-frères de Pol Roux, qui a rejoint le Corps Franc Bayard], il a eu une chance inouïe. Un obus est tombé au bord du trou où il se trouvait avec le Père aumonier remplaçant. Il a simplement la phalangette de l’annulaire gauche arrachée, ses autres doigts bougent. Une chance inouïe. Quant à Cook [le pasteur] et son inséparable Père [aumônier catholique], ils se sont évadés en voiture de l’hopital de Dijon pour venir nous rejoindre. Ils sont fous !
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 28 octobre 1944
Demain en rentrant j’irai à Lure voir ton petit frère, je crois qu’il va très bien. A Dijon, en passant je suis allé voir Jacques Desazart à qui on a coupé l’avant-bras gauche. Il a aussi un éclat qui a fait une lésion dans les reins. Le général De Lattre l’a décoré hier de la Croix de guerre et de la Légion d’honneur, ce qui est cependant une bien maigre consolation.
Voici une demande importante :– Dis à Combes de faire sortir tout le matériel d’artillerie et d’optique camouflé chez André Biau [le dentiste de Vabre, adjoint au maire] et de nous envoyer par la 1ère liaison (Lt Péronnelle à l’État-major du général Bertin à Toulouse, de préférence) les appareils de pointage, les pièces détachées de [???] et 2 ou 3 goniomètres et binoculaires. C’est très urgent car nous avons récupéré des canons incomplets.
– Pour la Viva Grand Sport [gazogène] dis à Lucien [Maraval] de faire rectifier le moteur chez Calvignac à Albi. Que Lucien fasse refaire les filtres et qu’il les fixe très solidement à la base avec du fil de fer, après avoir démonté la plaque trouée.
– Dis à Combes de m’écrire longuement pour me raconter ce qui se passe et me fasse des propositions pour la Médaille de la Résistance.
– J’ai vu, avant de partir ce matin les gens de Martin [Segonzac, les maquisards de Vabre] qui redescendaient des lignes heureux de retrouver un repos bien gagné. Albert Raynaud [de Vabre] avait bonne mine mais une barbe de 4 jours et ressemblait un peu à un bagnard.
– Que Papa me donne son opinion. Garde moi et envoie moi les journaux du Tarn qui peuvent m’intéresser.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 30 octobre 1944
Nous sommes entièrement habillés en américains ce qui est d’un confort parfait, mais pas très chaud […] Il fait très froid, le moral est excellent. Je n’ai pas changé de linge depuis 1 mois et je ne me lave que la figure. Dès que possible, j’irais prendre un bon bain à Plombières.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, samedi 4 novembre 1944
[…] Nous avons un temps exécrable. 3 jours de pluie continue, faisant tout inonder. Et depuis 11h, un beau manteau de neige. C’est complet !
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 9 novembre 1944
[…] Je suis dans une chambre si confortable que nous nous croyons dans un paradis terrestre. Nous avons abandonné l’obscurité et le blackout ce matin pour un petit village au sud de Remiremont, nous logeons dans la maison de la veuve d’un propriétaire d’une usine de coton : électricité, eau chaude, T.S.F., cuisine et la propriétaire est très gentille. Nous n’avons plus qu’un groupe d’escadrons en ligne à la fois. Mais les lignes sont effroyables, des trous pleins d’eau, couverts de neige, les chemins sont impraticables.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 11 novembre 1944
[…] Hier soir je me suis couché en écoutant ma radio-maquis au casque. Nouvelle sensationnelle de la participation de la France aux conférences de Londres. Je lis le Figaro. Gaby [Nahas] est abonné au Figaro, nous le recevons avec 5 jours de retard à peine. Mon staff de transmission comprend 3 hommes, les autres y compris René Fuchs sont en stage. Mon s/officier, très sympa, roule dans une minuscule Austin piquée aux boches par Genlis et troquée par moi… contre une lampe-torche, car je suis le seul à avoir touché quelques lampes torches pour les transmissions.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 12 novembre 1944
L’Alsace ! Pour nous, cela ne saurait tarder, le col n’est pas loin. La neige couvre encore les sommets. Il me tarde d’aller à Guebwiller voir ton oncle et connaître l’accueil de la population.
Tu as oublié de signaler la montre en or qu’il y avait dans une des cantines du colonel [allemand, prisonnier à Vabre]. Elle doit orner le gousset du Directeur du camp [de St Sulpice, dit le « rat pesteux »] mais il ne perd rien pour attendre.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 21 novembre 1944
Nous sommes toujours là, et la pluie continue…Peut-être que le col [de la Schlucht] se dégarnira de lui-même. Hier, un mort chez nous, un juif de Lacado, tué par une mine. Le colonel Desazart, le père de Jacques amputé de l’avant-bras gauche il y a un mois, a été tué en Alsace avant-hier.
Bien reçu la lettre d’Henri [Combes]. Bravo pour l’exposition mais je tremble pour mon colt. Il pleut tellement que je suis tombé en panne à 2 km du P.C., l’eau étant arrivée jusqu’au carburateur, je suis sorti par le toit.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 23 novembre 1944,
22h25, prise de Strasbourg
[…] Hier matin, avant l’attaque, tous les espoirs d’entrer en Alsace étaient permis. Hélas, si l’homme propose, Dieu dispose et il n’en a pas été décidé par Lui ainsi. […]
Donne tout ce que tu peux de mes vieilles affaires. En militaire, je ne manque de rien maintenant : capote, canadienne, gilets de peau, imperméable, 2 pantalons, 2 chemises, souliers, snowboots.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 27 novembre 1944
[…] Guebwiller est à portée de canons longs, mais qui entrera le premier, le 1er corps ou nous ?
[…] Surtout, garde le piano [le poste émetteur du DMR], mon révolver, les cigarettes et l’argent du secteur jusqu’à mon retour. Est-ce que le C.A.V. a repris ? Avec qui ?
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 1er décembre 1944
Mauvaise journée comme temps et comme résultat. 7 morts, 5 ou 6 blessés. Le jeune Cabrol de St Amans en particulier. Mais notre revanche sera éclatante.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 6 décembre 1944
Mon réseau fil est excellent, je peux même régler un tir par téléphone.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 7 décembre 1944
Notre poste avancé est à 1500 mètres de la Schlucht, mais la neige 30-50 cm et les mines rendent la progression pénible. Hier soir notre guide, père de 5 jeunes gosses a sauté sur une mine après avoir retrouvé dans les bois le corps d’un de nos hommes. Résultat une amputation du pied.
[…] J’ai devant moi le plan du réseau fil […] c’est assez passionnant d’avoir des appareils à quelques mètres des boches.
[…] Fais attention surtout à mon kolt et au poste émetteur récepteur du secteur. Pas question de le rendre à Brice, c’est un souvenir du maquis.
[…] Demande à Papa s’il serait possible d’avoir 100 pains de Roquefort pour Noël. On les prendrait à la première occasion (payants ou gratuits).
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 9 décembre 1944
On a fait des promesses formelles à notre effectif squelettique d’aller au repos à partir du 15. Ce matin je suis allé au culte avec Austry. Il y avait Jean Bouc, Gatumel de Ferrières, Picamoles, Gaby Alquier, tous en bonne santé mais tous ont besoin de repos. La belle neige est à faire pâlir des skieurs de Mégève, mais elle empêche nos chars d’avancer.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 10 décembre 1944
Il y a 4 jours, tirant sur la Schlucht avec nos mortiers, nous avons tué un commandant boche. J’avais fait le réglage depuis mon bureau. Hier, 6 boches de plus se sont rendus, ce sont de pauvres types, deux des enfants n’ayant pas fait de service militaire.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 12 décembre 1944
Nos hommes ne font que des patrouilles de contact. Avec 100 hommes en bonne forme physique, on en finirait en une matinée. Les rois nègres de l’intérieur se gardent bien de nous envoyer du renfort, leurs galons étant proportionnels au nombre d’hommes en casernes.
Il nous tarde terriblement de retrouver la plaine d’Alsace et Guebwiller qui semble devoir être la dernière ville à libérer. Pauvre Oncle Ernest.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 14 décembre 1944
Il fait un temps de cochon, brouillard, froid, routes glissantes. Je viens de crever pour la 2ème fois. J’ai déjeuné à Nancy et compte ramener une pleine voiture de Champagne pour le Noël des hommes. Un ami a vu Brice à Strasbourg l’autre soir […] Il n’a pas eu l’air d’être très satisfait d’être reconnu [il était encore en mission secrète entre les lignes allemandes et françaises].
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 19 décembre 1944
20 décembre. Déjà tous rêvent d’être ailleurs qu’à la Schlucht pour la Noël. La nuit est descendue très verlainienne avec un tout petit croissant de lune et du givre décorant les barbelés. A présent commence l’obsession de Noël : grosse belle bûche, table mise avec une grande nappe blanche au fond d’un parc derrière de hauts murs, luxe des candélabres. Pour avoir tout cela, il va falloir serrer nos paupières très fort.
« Les nouvelles compagnies franches du Tarn », Jean-Pierre Rouchié Robinson, équipe d’Uriage
Hier, par une journée exceptionnelle j’ai pu, pour la 1ère fois mettre un pied dans ta chère Alsace. J’ai pris une photo au col de Ste Marie. Toutes les maisons de Ste Marie sont intactes alors que de ce côté ci c’est effroyable, St Dié en particulier.
[…] J’ai vu Reims et sa cathédrale et ramené 100 bouteilles : 50 de Cliquot vendues par Mme B. de Vogué et 50 de Walbaum.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 23 décembre 1944
Qu’attendent les courageux F.F.I. de l’arrière pour venir nous relever ? Il semble enfin que ce soir, les événements se retournent en notre faveur. Je ne pense pas aller de sitôt en Alsace par la route directe. J’ai reçu ce soir une bonne lettre de ce cher Daniel [transmissions PTT de Castres].
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 25 décembre 1944
Le beau temps continue, l’aviation est absente de notre ciel, il ne doit pas en être ainsi en Belgique. Je pense que grâce à ce temps les événements nous deviendrons favorables.
J’ai reçu une longue lettre de Campagne bien sympathique, de ces lettres qui vous rendent un peu de la confiance dans l’Arrière. Car, à part ces quelques témoignages, nous sommes écœurés de ce qui se passe. Il semble que l’Armée des Vosges ne fasse plus partie de la communauté Française.
Lettre de Guy de Rouville à sa femme Odile, 27 décembre 1944
Période post-maquis dans le Tarn
[…] Le contrôle et l’enregistrement des armes est une question délicate. les divers chefs de maquis ayant été avant largement indépendants ont eu tendance, ainsi que leurs hommes, à considérer leurs armes comme propriété personnelle. Je suis convaincu qu’avec un peu de courage et de détermination on pourrait actuellement facilement traiter ce problème, mais si on attend il deviendra de plus en plus difficile à résoudre.
A un moment on a pu croire que les F.T.P. étaient en train d’amasser des armes dans des buts révolutionnaires, mais c’est une opinion tout à fait superficielle. Le désir de garder des armes personnelles était général et dû, surtout chez beaucoup de jeunes, au plaisir de se promener avec leurs stens sur l’épaule. Les stens sont des instruments dangereux, il y a beaucoup d’accidents, mais plus suicidaires que meurtriers. Les F.T.P. sont indubitablement une organisation de gauche, mais ils étaient les plus actifs, ont attiré de ce fait beaucoup d’adhérents non politisés et fait de l’excellent travail.Un des problèmes avec des F.T.P., c’est qu’ils ont lancé une campagne pour qu’on traite en alliés et en héros de l’ Union Soviétique les prisonniers mongols embrigadés dans le Caucase par les allemands et dont ils s’étaient servis, parfois très efficacement, contre les maquis […] Or j’avais reçu d’Alger des indications formelles comme quoi ces troupes devaient être bien traitées mais en prisonniers de guerre jusqu’à ce que des directives nous parviennent de Moscou sur le sort ultime à leur réserver.
Un autre problème, certes compréhensible mais néanmoins désagréable tient au fait que beaucoup de gens issus soit l’armée régulière dissoute soit des catégories professionnelles n’ayant les uns ou les autres pas fait grand chose ou même rien du tout pour la Résistance ont soudain réapparu après la Libération cherchant de l’embauche. C’est très mal vu ici, mais à mon avis il ne faut pas être trop sévère : chacun désire de nouveau gagner sa subsistance et ces techniciens peuvent être utiles dans des rôles mineurs pour reconstituer l’armée française ou pour faire fonctionner les entreprises locales.
Il y a en France un immense désir de remettre les choses en marche, de laisser les gens gagner leur vie et d’éviter de nouvelles explosions de violence. Je veux insister sur ce point : les histoires que l’on raconte à Paris et à Londres ou des désordres dans le Sud-Ouest sont très exagérées : un incident survenu à Toulouse transmis par 20 sources différentes devient 20 incidents différents une fois parvenus à Paris […] Je considère que l’existence de De Gaulle pour lequel quasi tous les français ont une admiration considérable évitera tout sérieux danger d’insurrection.
Extrait du rapport du Major Davies, « War in Languedoc Rouge » – traduction OdR.