Correspondance privée entre zones

S’écrire entre la zone libre et occupée, et réciproquement, demande de grandes précautions, même à titre privé. D’où le recours à des allusions ou à des « message codés » pour n’éveiller aucun soupçon, ainsi qu’à des passeurs de son entourage, si l’opportunité se présente, pour échapper au format imposé de la carte interzones. Mais même dans ce cas, le langage reste allusif, codé, …

Documents originaux 1940-1945 : plusieurs centaines de missives (cartes interzones, lettres) ont pu être réunies, classées et conservées depuis 1945 au domicile de Vabre de Guy de Rouville et de son épouse Odile. Discrètement codées dans les deux sens elles pouvaient, contrairement aux documents du maquis C.F.L. 10, être conservées sans être cachées.

L’abondance de petites nouvelles familiales (enfants, santé, ravitaillement, etc…) dérobait aux censures allemandes et vichystes les allusions aux heurts et malheurs de l’occupation ennemie. A remarquer pourtant : le désir constant de maintenir le moral de l’autre dissimulant son angoisse personnelle.


Lettre d’O. de Rouville (zone libre) à sa mère en zone occupée,
sur une carte interzone, le 30 septembre 1941.
Archives privées

Ci-dessus : carte interzone pré timbrée, modèle Sept. 41, moins stricte que les modèles antérieurs, pré imprimés et pré lignés. Utilisés jusqu’en 1943 parfois en même temps que des missives plus longues traversant « la ligne » grâce à des frontaliers. Un comble : la carte ici est pré timbrée « République Française » au lieu de l’habituelle effigie de Pétain ! Utilisation des stocks ou clin d’œil de la Résistance P.T.T. ?

Texte de la lettre d’O. de Rouville à sa mère

A noter les thèmes allusifs :

  1. L’envoi d’argenterie familiale : enterrée rapidement dans le jardin en zone nord lors du déferlement allemand de juin 1940, puis déterrée et expédiée par les parents d’Odile à Vabre en zone sud avec une autorisation. Les biens, en 1941, passent la ligne de démarcation plus facilement que les personnes.
  2. La carte adressée à Georges : frère d’Odile étudiant à Paris, 19 ans, passe aller-retour clandestinement la ligne de démarcation pour faire du Kayak sur l’Ardèche pendant ses vacances. En 1943, s’évadera en kayak de Perpignan à Barcelone pour rejoindre la France libre.
  3. La boîte à sucre : boîte de poche pour garder sur soi sa ration journalière (3 morceaux pour la catégorie A, adulte).
  4. Les cartes en panne chez tante Simone : ce ne sont pas des cartes autorisées, mais de vraies longues lettres non autorisées qui passaient innocemment la ligne dans la poche « restante » d’un oncle frontalier. Par carte interzone, Odile sait depuis peu que l’oncle est à « l’hôpital » à Paris et que le « le diagnostic est réservé ». Sous entendu : « emprisonné par la Gestapo, pas encore jugé ». Il sera heureusement relâché au bout de quelques semaines, mais on ne pourra plus lui demander de faire le facteur.
  5. La mort de Gérard Cl. [NdR : Claron] : cousin germain de Guy de Rouville, a rejoint de Gaulle en juin 1940 après être passé par Vabre, le village de son enfance. On saura plus tard qu’il est mort non pas en Angleterre, mais à la frontière de la Libye et du Tchad avec la Colonne Leclerc à bord de son avion de reconnaissance, perdu dans le désert et à court de carburant. L’avion, intact, et son corps ne seront retrouvés qu’en 1959.