Origine du nouveau 12ème Dragons

Dès l’installation des unités de maquis de la zone A au quartier Fayolle de Castres le lendemain de la libération du Tarn, le Commandant Hugues était décidé à ouvrir un bureau de recrutement pour cérer une unité militaire en mesure de rejoindre la 1ère Armée débarquée le 15 août en Provence sous le commandement du Général de Lattre de Tassigny. Plus de 200 de nos maquisards vont s’y inscrire.

Dans ce que le Commandant Hugues a appelé « un élan louable mais tardif », plusieurs officiers d’active, anciens responsables du 3ème Dragons de Castres désarmé en novembre 1942, décidèrent alors de nous rejoindre. Je sens bien que, pour ces militaires de carrière c’est la renaissance de leur régiment qui les motive, et le chef maquisard que je suis n’en veut à aucun prix : en effet, malgré les invitations discrètes que nous avions faites à son chef de l’époque, le Colonel H., jamais celui-ci n’avait voulu s’engager dans l’organisation de la Résistance du Tarn au moment où les troupes allemandes avaient occupé les casernes de Castres. Il n’avait rien dit en notre faveur ni à ses cadres ni à sa troupe et n’avait même pas essayé de conserver pour nos combats futurs des armes ou de l’équipement.

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Cantine de Guy de Rouville marquée
au nom du « Corps-franc du Sidobre »

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J’avais proposé à Hugues/Segonzac d’appeler « Corps Franc du Sidobre » l’unité militaire créée sur la zone A puisque nous étions centrés sur ce massif granitique bien connu. Le terme « Corps Franc » l’inquiétait un peu, par contre il comprenait bien mon opposition à l’appellation « 3ème Dragons », lui qui n’avait jamais fait partie de l’armée d’armistice. Lorsque je quittais Castres le 6 septembre en voiture comme officier de transmission avec mon maquisard Edgar Fuchs, j’avais demandé à mon épouse de peindre sur ma cantine « Corps Franc du Sidobre ». Nous précédions de quelques heures nos engagés volontaires du C.F.L. 10. Ils s’embarquaient en train et en gazogènes sous le commandement de Jean de Segonzac, alias Martin, le frère cadet du Commandant Hugues. Peu après, les anciens de l’École des Cadres, nombreux parmi nous, préfèrent l’intitulé « Corps Franc Bayard », en souvenir d’Uriage, le château du Chevalier Bayard « sans peur et sans reproche ». Mais à mesure que nous avancions vers Autun puis Dijon pour y rejoindre la 1ère Armée, les autres groupes de volontaires qui n’avaient rien à voir avec ce souvenir forcèrent la main du Commandant Hugues et firent même imprimer du papier à lettres « 3ème Dragons ». Un peu par esprit de corps, notre chef finit par céder.

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Extrait de l’agenda de Guy de Rouville

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Depuis la Libération, j’avais recommencé à prendre des notes dans mon agenda personnel.


 
J’y retrouve aujourd’hui trace d’une rencontre avec le chef de la 1ère Armée : Le samedi 23 septembre 1944, je quitte en auto Pomoy en Haute-Saône pour Paris, où j’ai plusieurs missions à remplir : il s’agit en particulier d’obtenir de l’équipement et des fonds financiers pour notre régiment de volontaires aussi démunis que les soldats de l’An II de la 1ère République. Je retrouve dans la capitale Henry Frenay, le fondateur du réseau Combat, Hubert Beuve-Méry qui s’apprête à fonder « Le Monde », et l’inspecteur des finances Christian Cardin qui avait été mon antenne de la Résistance à la Préfecture Régionale de Toulouse. Retour vers l’est le mardi 26, mais ma voiture tombe en panne plusieurs fois, et c’est tard que j’arrive à Besançon, alors le P.C. du chef de la 1ère Armée. Au 3ème bureau je retrouve un ami, l’aspirant de Vielcastel, qui me présente au Général de Lattre. J’en profite immédiatement pour râler auprès de lui de nous voir amalgamés à la 1ère Armée sous le nom de « 3ème Dragons ». J’entends encore la voie théâtrale du Général : « Comment, le 3ème Dragons ? Ce régiment qui m’a fait arrêter à St-Pons ! Je sais ce que vous avez fait dans le Tarn… vous serez 12ème Dragons, mon premier Régiment à Colmar« . Je le quittais vers 22 heures et filais sur Pomoy, que le Groupe Martin avec nos maquisards venait de quitter, mais qui était remplacé par le « 1er Bataillon de Choc ». Au milieu de la nuit, j’y retrouvais dans une grange mon beau-frère Georges Schlumberger, qui sera tué à Servance 8 jours plus tard.

Le lendemain, je me suis bien gardé de parler à mon Commandant [Segonzac] de ma rencontre avec le Général de Lattre. Mais elle avait eu pour lui des conséquences immédiates qu’il a raconté plus tard dans ses mémoires :

La progression reprit enfin et nous finîmes par être surpris par la nuit au milieu d’épais taillis. C’est alors que se plaça un incident caractéristique de la manière du Général de Lattre. Vers minuit, je fus appelé au téléphone de campagne avec ordre de me rendre immédiatement au P.C. de la « 1ère Armée » installé à Besançon. Je partis à tâtons et eus la bonne fortune de retrouver mes arrières. Je pris aussitôt, trempé comme un barbet, la route de Besançon où j’arrivai vers 3 heures du matin. Le général n’était pas disponible et il ne me reçut que vers cinq heures du matin. Je m’interrogeais sur la raison de cette étonnante convocation. Elle avait pour but de changer le numéro de mon régiment. Je n’avais pas pris garde que le « 3ème Dragons » de l’armée d’armistice n’avait pas suivi le général au moment de son refus d’obéir à l’ordre de capitulation qui suivit l’entrée des Allemands en zone libre. Il avait donc manqué à l’honneur et à la fidélité au chef et méritait d’être mis aux oubliettes. Mon désir de le ressusciter avait été une erreur et on me le fit bien comprendre. En revanche, mon régiment deviendrait désormais le « 12ème Dragons », le régiment où le lieutenant de Lattre servait en 1914 et où il avait reçu un coup de lance au visage. Mon indignité première était sanctionnée, in fine, par une insigne marque de faveur. Je revins donc au bois du Mont de Vannes à la tête d’une unité rebaptisée. L’attaque s’achevait et le « 12ème Dragons » recevait une nouvelle distinction. Il était cette fois mis à la disposition d’un régiment de spahis à Remiremont en qualité d’appui d’infanterie de cette unité blindée.

« Le vieux chef », nuit du 26 au 27 septembre 1944, Mémoires du Commandant Hugues/Segonzac

Certains se demandent d’où vient, pour ce régiment issu des maquis du sud tarnais, la dénomination « 12ème Dragons ». Créé en 1675 à Maastricht (Pays-Bas), régiment du Duc d’Artois en 1791 mais licencié à la chute de l’Empire, il est reconstitué en 1825 et défend Metz en 1870. En 1914, il est à Colmar, où se distingue dans ses rangs le jeune lieutenant Jean de Lattre de Tassigny. Le « 12ème Dragons » est à nouveau dissous en 1929, et le 23 septembre 1944, le Général décide de sa renaissance qui sera entérinée le 20 Octobre.
 
En réalité, d’après le Bulletin Officiel du Ministère de la Guerre du 18 Août 1947, le « Corps Franc Bayard » ou « Groupement de Segonzac » est unité combattante du 18 Septembre 1944 au 16 Mars 1945. et devient alors : « 12ème régiment de Dragons » – en unité combattante – du 16 Mars 1945 au 18 Avril et du 25 Avril au 8 Mai 1945. Il n’ y est pas question du « 3ème R.D.R. » !

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Entêtes de lettre de Pol Roux

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En retrouvant des lettres envoyées à mon épouse, on constate que le 30 novembre 1944, au P.C. du Commandant, j’écrivais avec papier à entête du « Corps Franc du Sidobre – Groupe Mobile R. 4 » (c’était la colonne légère de Toulouse ou colonne Schneider). Le 17 décembre 1944, c’était « 1ère Armée Française – 3ème R.D.R » et le 1er juin 1945, le « 12ème Dragons ».

Guy de Rouville, Officier de transmission