Du Tarn à la mort pour la France : le parcours tragique d’un enfant de Vabre par ses lettres

Les combats de la période du maquis puis de la campagne 1944-1945 ont causé la mort de 25 combattants des Maquis de Vabre. Parmi ces 25 maquisards et soldats morts pour la France, l’un des plus jeunes avait 19 ans. Enfant de Vabre, André Albert a été tué sur le front des Vosges. Grâce à un don de sa famille, nous pouvons retracer son parcours aux armées à travers ses lettres.

La jeunesse d’André Albert, né à Vabre en 1925, est celle d’un enfant protestant de la montagne. Scout chez les Éclaireurs unionistes, il vit à l’année à Mazamet, bastion textile et protestant comme sa montagne natale. À l’école pratique de Mazamet où il est scolarisé de 1942 à 1944, deux bulletins nous indiquent une mention « assez bien » pour sa valeur morale, des qualités en mécanique et des difficultés en mathématiques. Cinquième en 1942-1943, il est troisième sur 21 élèves l’année suivante.

« Bon élève », André Albert multiplie les investissements associatifs, en plus du scoutisme. Sa carte à l’Aéro-club de la Montagne noire en témoigne, ainsi que sa souscription pour la Ligue maritime et coloniale. Cet engagement ne se traduit pas aux Maquis de Vabre : André Albert fait partie de la vingtaine de jeunes hommes qui rejoignent la Résistance in extremis, le 20 août 1944, jour de la Libération de Castres. Malgré cette inscription tardive, André Albert est homologué FFI. Certainement parce qu’il revendique une « résistance individuelle » de janvier 1943 à août 1944 et pour son destin.

Parmi les 462 maquisards inscrits au registre des Maquis de Vabre, au moins 230 ont reçu le même « certificat d’homologation des Forces françaises de l’Intérieur » et 250 se sont engagés dans la Première armée de Libération dirigée par le général Jean de Lattre de Tassigny. André en fait partie.

Du Tarn jusqu’au front, avec des cartes postales

Pourquoi André Albert s’est-il engagé ? Son dossier militaire précise seulement qu’il est engagé volontaire, certainement pour devancer le service militaire qu’il n’avait pas encore effectué. André en dit un peu plus dans sa première lettre envoyée depuis Vabre à sa famille, le 6 septembre 1944 : « Pour le 3ème Dragons, je n’ai pas envie de m’y engager, j’ai plutôt envie de partir dans la police militaire. » Mi-septembre, André part pour Castres avec le 3ème régiment de Dragons de reconnaissance.

L’escadron d’André Albert semble partir plus tard que les premières troupes mobilisées dans le régiment, puisque le capitaine Guy de Rouville se signale à Clermont-Ferrand le 22 septembre alors qu’André Albert ne part de Castres pour Albi que le 23. La route se fait en camion gazogène, dont l’état semble douteux. Entre Albi et Rodez, « quelques incidents sur la route, tête à queue, panne de moteur, crevaisons ». Plus tard, André Albert signale des boulons de roue qui cassent en route.

Au-delà de la mécanique, André Albert nous emmène à travers son courrier dans une visite de la France tout juste libérée. Il le fait avec les mots d’un adolescent pas encore tout à fait adulte et certainement sorti de son Tarn natal pour l’une des premières fois. « Nous sommes arrivés hier matin de Cassagnes en passant par Rodez que nous n’avons malheureusement par eu le temps de visiter », regrette-t-il le 25 septembre. André Albert a plus de temps à Clermont-Ferrand, qu’il rallie le 30. « C’est une grande ville, des tramways, des agents de police avec bâtons blancs, des autos, il ne faut pas traverser la rue n’importe où, il faut emprunter les passages cloutés. » Tout un nouveau monde.

PHOTOS. Cartes postales envoyées par André Albert durant la traversée de la France :
Lieux représentés : Albi, Cassagnes-Comtaux, Espalion, Faverolles, Saint-Flour, Clermont-Ferrand.

Lettres du front, dans la boue au son du canon

Passé de la montagne de Vabre à la petite ville de Mazamet, André Albert découvre la grande ville. Après Clermont-Ferrand, plus rien jusqu’à une lettre sur un papier fin, le 6 octobre 1944. Une semaine après l’Auvergne pittoresque qu’il aurait aimé visiter, voici le jeune soldat arrivé à Gouhenans, en Haute-Saône. L’environnement change radicalement : « Ici on entend le canon, on dirait qu’il va toujours pleuvoir, on croirait entendre le tonnerre. Il y a des Américains dans tous les coins. Les routes sont pleines de boue car il a beaucoup plu et avec la circulation, ça remue toute la terre. »

Le lendemain de son arrivée, André Albert prend le temps, « en fumant une cigarette américaine », de rédiger un long journal de marche dans lequel il retrace toutes les étapes parcourues entre le 23 septembre et le 6 octobre. Inédit avec ce niveau de détails, cette lettre fourmille de détails de vie, d’anecdotes insolites, de commentaires sur les lieux et parfois de blagues, notamment à Vichy.

S’il vit sous la pluie et dans la boue comme ses camarades, André Albert n’en est pas moins assez bien équipé. Il est intéressant ici de mettre en relation le jeune soldat de troupe avec son plus haut supérieur hiérarchique au sein du régiment, le colonel Pierre Dunoyer de Segonzac. Le 5 octobre, alors que les premiers arrivés ont déjà connu plusieurs engagements au front, ce dernier s’insurge des conditions de sa troupe : « On ne peut utiliser de jeunes garçons physiquement fatigués, dénués de l’essentiel, sans les équiper, les armer, prévoir leur instruction et leur organisation sur le type normal. » Quatre jours plus tard, André Albert détaille son équipement qui semblait inquiéter ses parents : « 12 paires de chaussettes, 2 paires de chaussures, 1 paire imperméable française et 1 paire américaine toute neuve, 2 chemises, 3 pull-over et un tas d’autres choses, 2 pantalons entre autres. Je suis complètement habillé en américain des pieds à la tête et même en linge de corps, ça c’est épatant. »

Bien habillé et doté de protections contre la pluie, André Albert signale son premier engagement au front le 16 octobre 1944. « Nous étions montés au baroud et pendant trois jours nous n’avons pas pu écrire, ni nous laver et faire le train-train habituel », griffonne-t-il. Les papiers à lettre rétrécissent, à une époque où la pénurie de papier connue dès le début de la guerre se poursuit. Ne pouvant écrire qu’au repos, André Albert peuple surtout ses lettres des activités de l’arrière, cinéma le 20 octobre.

« Vous pouvez croire que mon fusil-mitrailleur a craché »

Le 27 octobre, André Albert écrit depuis le trou où il campe depuis cinq jours. L’arrière est loin : « Les boches ne se montrent pas trop et l’on ne tire pas souvent au fusil. Ce matin, je suis allé faire une patrouille dans le no man’s land. C’est assez intéressant mais au commencement ça fait une drôle d’impression. Nous avons avancé de 3,5 kilomètres sans rien voir. Maintenant je suis passé tireur au fusil-mitrailleur. C’est une bonne arme, elle est un peu lourde mais on s’habitue. » La cadence au front s’accélère début novembre, « quatre jours de repos et huit jours de ligne », à mesure que la troupe progresse à travers les Vosges, refoulant les Allemands « à coups de chars et de canons ».

Huit jours plus tard, le 12 novembre, André Albert témoigne avoir été au front sous une pluie battante qui a tout détrempé, sols et hommes. La pluie s’est arrêtée pour laisser place à la première neige, alors qu’il campait à 850 mètres d’altitude. Deux jours de repos ont permis au jeune Tarnais de se sécher et de participer à « une grande bataille de boules de neige avec les noirs et les spahis », témoignant de la diversité des troupes, le régiment d’André étant rattaché à la 14ème Division d’infanterie algérienne. Cette pause permet à André Albert de réfléchir aux semaines à venir : il indique ne pouvoir venir à un mariage prévu le 2 décembre dans le Tarn et espère « avoir une perm pour Noël ».

En attendant, André Albert et son régiment progressent toujours, « les boches reculent sur des kilomètres et brûlent tout sur leur passage, nous avons vu des villages brûlés et démolis », écrit-il le 20 novembre. Le casque repeint en blanc pour se camoufler dans la neige qui parfois redevient boue, André Albert a une pensée pour son père vétéran de 14-18 : « La boue doit rappeler à papa le temps où il pataugeait avec le fusil et le sac dans les boyaux, avec de la boue jusqu’aux mollets. » Le moral d’André est bon, il indique la composition tarnaise de son peloton, où l’on vient de Vabre, Saint-Pierre-de-Trivisy, Ferrières et Castres et où l’on chante patois « pour en mettre plein la vue aux autres ».

Au front, c’est « patrouilles sur patrouilles », raconte André lors d’un repos à Gérardmer. « L’autre jour en patrouille, nous avons rencontré trois boches. Vous pouvez croire que mon fusil-mitrailleur a craché, aussi j’en ai envoyé un au pays des songes, il a fait une cabriole comme un lapin. » C’est le premier combat sanglant dont André témoigne, alors que son régiment progresse vers le Col de la Schlucht, frontière naturelle entre la France et le Reich depuis l’annexion de l’Alsace. Dans son avant-dernière lettre, le jeune homme refait son itinéraire depuis l’amalgame aux troupes de la Première armée, à Lure, en octobre. Un périple épique à travers la France.

CARTE. Itinéraire suivi par André Albert, retranscrit dans ses courriers :
Pour une meilleure lecture, cliquez en haut à gauche pour accéder à la légende. Lien de la carte ici.

« Je suis atteint aux jambes et au ventre »

« 9 – XII – 44 » : c’est la date de la toute dernière lettre d’André Albert, adressée à sa « chère maman ». Elle est envoyée depuis l’hôpital où André se trouve depuis le 30 novembre, soit dix jours. « Je suis atteint aux jambes et au ventre », écrit le garçon de 19 ans qui vient de recevoir la Médaille militaire.

La blessure a eu lieu à Gérardmer, alors qu’André Albert était au repos. Robert Cook, pasteur de Vabre et aumônier du régiment, renseigne monsieur Albert sur les circonstances de la blessure dans une lettre du 5 décembre : « Ils étaient tous en peloton dans une rue de la ville où nous sommes cantonnés quand un obus est arrivé pas très loin d’eux et André a reçu des éclats dans le ventre. On a pu immédiatement le transporter avec cinq de ses camarades et il a été opéré rapidement. J’ai pu aller le visiter tous les jours et hier soir j’ai passé un long moment avec lui. Il était en train de lire des lettres qu’il venait de recevoir, il a un très bon moral et il est très courageux, nous avons pu parler du Tarn, et de sa famille, et j’ai pu faire le culte avec lui. C’est un brave petit et son capitaine lui a remis hier la Médaille militaire. Il est très aimé par ses camarades et par nos chefs qui s’intéressent beaucoup à lui. J’ai vu l’infirmière et le docteur qui m’ont donné bon espoir. Je tenais à vous écrire ce mot pour vous toute ma sympathie et que nous essayons d’entourer votre petit André. Nous demandons à Dieu de l’aider à traverser cette dure épreuve, de lui donner les forces physiques, morales et spirituelles. »

Dans une lettre du 16 décembre, la mère d’André Albert se désole de la blessure de son fils, mais se rassure grâce à des lettres de camarades d’Albert, lesquelles disent qu’il « va bien mieux ». Elle ne sait pas que son fils est décédé cinq jours plus tôt, le 11 décembre 1944, des suites de ses blessures. André Albert avait 19 ans, il aurait célébré son vingtième anniversaire en janvier 1945. Un cousin s’en émeut à la veille de cette date, partageant « la douleur d’avoir perdu [son] meilleur ami, tombé en brave ». André Albert, « mort en soldat », est cité à l’ordre du corps d’armée à titre posthume par le général Koenig. La citation inclut l’attribution de la Croix de Guerre 1939-1945 avec étoile de Vermeil.

En parallèle des honneurs militaires, la famille d’André Albert doit s’occuper de sa dépouille. Inhumé dans les Vosges dans une tombe provisoire entretenue par une institutrice avec qui la famille échange des lettres, André Albert doit être rapatrié dans son Tarn natal. Ses parents visitent la tombe provisoire et s’y font photographier en tenue de deuil.

L’Association Rhin et Danube, dévolue aux anciens combattants de la Première armée de Libération, s’associe à la mairie de Mazamet pour faciliter le retour d’André. Ce fut fait en 1946. Enfant de Vabre ayant grandi à Mazamet, André Albert y repose au cimetière protestant. Son nom figure sur le monument aux morts pour la France de la Seconde Guerre mondiale et un espace lui est dédié, à travers ses objets personnels, au sein de l’exposition permanente de l’Amicale des Maquis de Vabre.

Sources : Amicale des Maquis de Vabre, archives privées des familles Albert et Poudou, Service historique de la Défense, Geneanet.

Si vous disposez d’archives concernant les Maquis de Vabre, écrivez à amicale@maquisdevabre.fr