War in the Languedoc rouge

Journal de bord du Major Davies, des Services Interalliés, parachuté sur « Virgule » près de Vabre, dans la nuit du 7 au 8 août 1944. Original en anglais, datant de début 1945 et donné par le Major Davies à Guy de Rouville dans l’immédiate après-guerre.

Par respect et amitié entre anciens combattants pour une même cause, nous n’avons ni traduit ni publié l’intégralité de « War in the Languedoc rouge » et de « Mission to the Tarn » (non publié ici) avant que ne soient écoulés les cinquante ans du devoir de réserve. Le major Davies était un agent officiel des services secrets interalliés et c’est à titre personnel que lui d’abord et son fils ensuite ont donné ces extraits de son journal de 1944-1945 à la famille de Guy de Rouville qui l’avait accueilli, une nuit de pleine lune, après son parachutage sur Virgule. Ces deux récits complémentaires de la Libération et post-Libération dans le « Languedoc Rouge » ne contiennent aucun secret d’état mais des propos sur des résistants qui pouvaient s’en trouver inutilement égratignés. Il y avait surtout le risque d’un épinglement hors contexte par des médias politiquement partisans cherchant le scoop blessant.

Le Major Davies et son fils en 1954

Nous nous sommes attelés à une traduction complète de ces documents pour une parution dans la « Revue du Tarn » (numéro « Hiver 2003-2004 »), organe depuis le 19ème siècle des sociétés culturelles de ce département. Pour ne pas trop charger le site nous n’ajoutons à la reproduction de 5 pages originales que des extraits significatifs de passages déjà traduits.

Journal du Major Davies, page 1
                   La guerre dans le LANGUEDOC ROUGE.
                        "Aux armes citoyens..."

Le 31 octobre 1944, j'embarquais dans un DC3 au Bourget pour atterrir
environ une heure plus tard à Croydon, après une absence de deux ans
d'Angleterre, les trois derniers mois passés avec les Maquis en France.

[...]

En France, on note une tendance à grossir la souffrance des français
sous l'Occupation et à exagérer les dommages causés aux villes. A la
longue c'est un peu lassant. Pour ce qui est des destructions
matérielles, je doute que la France ait vraiment plus souffert que
l'Angleterre.

[...]

Elle n'a rien connu de semblable aux bombardements de Coventry ou de
Bristol. La preuve majeure pour les Français a très certainement été
l'occupation par les troupes allemandes et aussi les millions d'absents,
prisonniers de guerre ou déportés. Les Britanniques ne réalisent pas
vraiment ce que cela veut dire, pas plus qu'ils ne donnent sa juste
valeur à la contribution du peuple français après le jour J pour aider à
se débarrasser de l'ennemi. En fait, les Forces Françaises de
l'Intérieur ont accompli un travail très valable. Mais après la
Libération ils ont aussi travaillé à ruiner leur propre réputation, y
compris aux yeux de leurs concitoyens, en parlant de leurs exploits en
termes tout à fait excessifs. Ceci était dû, pour une large part, à leur
tendance latine à l'exagération. Mais le résultat est qu'on a entendu
par la suite parler des F.F.I comme de gangs de voleurs, de
révolutionnaires communistes ou d'équipes poursuivant des vendettas
personnelles. Dans l'ensemble, c'est un non sens : en raison des
conditions qui ont suivi la Libération il y a eu de l'anarchie jusqu'à
un certain point, mais étonnamment peu en de telles circonstances; et si
quelques personnes ont été dégommées sans guère de cérémonie - ce que
des méthodes légales plus prudentes auraient pu éviter - ce n'est
probablement pas une perte pour la France. Il me semble parfois que la
France a cet avantage sur nous : elle connaît ses traîtres.

[...]

Le 7 Août nous étions 3 groupes à Blida, près d'Alger, trois groupes à
destination France pour ce soir-là. A 10 heures, mon équipe embarquait
sur un Halifax. [...] Avec moi, il y avait un officier et deux radios,
tous trois français. A 2 heures du matin, nous sommes au-dessus du but.
Nous pouvons voir les lumières signalant le terrain d'atterrissage. Nous
serrons la main de l'équipage. La trappe est ouverte. La lumière rouge
s'allume, puis la verte. Nous nous jetons par le trou. C'est une
magnifique nuit d'été avec une lune brillante. Nous descendons en
flottant doucement, regardant avec attention les petites silhouettes des
maquisards qui allaient nous recevoir.

[...] 
Journal du Major Davies, page 2
[...] Nous sommes en France. Pour moi, c'est très émouvant. Pour mes
compagnons, encore bien plus.[...] 
Journal du Major Davies, page 3
[...] le premier maquis que j'ai rencontré ne s'était pas distingué par
ses hauts faits. Les jeunes qui le composaient n'avaient guère
d'expérience, et pourtant ils m'ont fait une impression profonde.
C'étaient des gars bien droits, au frais visage, au regard vif, issus de
toutes les classes sociales. En Angleterre bien sûr, ils auraient encore
été à l'école.Un jour, M. Jean Cadier, un pasteur protestant bien connu,
qui s'était enfui de Montpellier où la Gestapo le recherchait, arriva
sur la colline avec un prêtre catholique de Toulouse [NdT : il s'agit de
l'abbé Gèze, secrétaire particulier de Mgr Salièges, menacé à Toulouse].
C'était une scène émouvante; un beau soir d'août dans un pré cerné de
forêts sur les monts du Languedoc, avec au fond, la longue ferme où
vivaient les maquisards, et où un prêtre et un pasteur expliquaient à
ces garçons français pourquoi il était juste pour eux d'être hors-la-loi
et d'apprendre à se battre contre l'envahisseur.

[...] 
Journal du Major Davies, page 4
Journal du Major Davies, page 5
[...] un dernier mot pour conclure : les Anglais, comme d'ailleurs
d'autres étrangers, sont peu connus dans le Sud Ouest de la France. Il y
a donc guère de raison pour un Français d'avoir un sentiment d'affection
pour les Anglais, pas plus que l'inverse. Mais la ressemblance
fondamentale entre nos modes de vie et nos traditions est, en fait, bien
plus profonde que les différences plus superficielles de langage et de
caractère ne le feraient penser. Nous avons découvert que nous avions
beaucoup en commun et la crise que nous avons traversé ensemble nous a
rapprochés.

[...] Ce désir de rapprochement a été mis en évidence par l'accueil
général et très chaleureux qu'ont reçu les officiers anglais après la
Libération (c'est vrai également pour les officiers américains). Jamais
nous ne pouvions payer pour quoique ce soit. le lendemain de la
Libération d'Albi, j'ai été me faire couper les cheveux. Comme
j'insistais pour payer, un autre client est venu vers moi et m'a dit :
"Mon commandant, il est tellement content de couper les cheveux à un
officier britannique et pas à un boche, qu'il faut lui donner le plaisir
de ne pas prendre votre argent"(1). 

(1) En français dans le texte.