En mai 1941, dans le Tarn, Denise Gamzon prend en main la ferme-école de Lautrec qui abrite des jeunes juifs en difficulté sous couvert des Éclaireurs Israélites.
Je n’étais pas toujours à la hauteur comme directrice, mais il y avait, en plus des garçons, une équipe de 5 filles (Annette, Liliane, Janine, Feu-Fo et Hérisson) qui s’y connaissaient mieux que moi en travail ménager […]. Les paysans d’alentours avaient du maïs, on en faisait une galette appelée millat, il y avait des poules, des oies, de lapin […]. Au début, nos rapports avec les voisins n’étaient pas très bons : ils regardaient avec méfiance ces citadins venus de Paris et qui parlaient « pointu ». Plus tard, il nous ont estimé, voyant que nous voulions vraiment apprendre le travail agricole et … parce qu’on ne tombait pas enceintes, ce qui se serait vu ! A la mairie, les rapports étaient assez mauvais : le maire avait été nommé par Vichy et n’était pas très heureux d’avoir, dans sa commune, une groupe de 50 et bientôt 80 juifs !
Gamzon/Castor avait embauché un jeune médecin d’origine roumaine naturalisé français, cela nous a valu de l’animosité de la part des notables du village. Mais à Castres (à 13 kms) j’avais une bonne amie, la cheftaine d’éclaireuses unionistes (protestante) Hélène Rulland. Sa sœur Simone était pharmacienne. Très vite, notre jeune médecin a pu venir faire chez elle des ordonnances qui n’étaient pas légales puisqu’il n’était pas inscrit à l’ordre des médecins du département du Tarn.
Castor avait réussi à trouver à Vichy un informateur, un quaker qui travaillait au Service Social des étrangers au Ministère de l’Intérieur. Le 22 août 1942 il nous a téléphoné à notre centre de Moissac en langage codé pour nous annoncer quelle catégorie de juifs étrangers allaient être visé. Le 23 Août, nous sont arrivées vers 13 heures, un groupe de filles étrangères, certaines sorties de Gurs et Rivesaltes, qui étaient en danger. Nous les avons accueillis, nourries, désaltérées. Vers 15 heures, je reçois un coup de téléphone de Moissac : « Vérifie tes factures depuis 1936 ». Et moi, comme une idiote, je réponds : « Mais je n’ai pas de facture depuis 1936 ». L’autre me dit : « Réfléchis, et raccroche ».
J’ai compris qu’il s’agissait d’étrangers entrés en France depuis 1936 […]. Nous en avions trois et ils ont été coucher dans la forêt. […] les 30 filles ont filé en douce de l’autre côté du domaine […] A 5h30 du matin, les gendarmes sont là […] Nous avions appris que l’adjudant écoutait la radio anglaise […]. Il m’a dit : « Ah, Madame Gamzon, on est obligé de faire des choses qu’on ne voudrait pas faire ». Dès ce moment là, nous avons été copains. Il a exigé de vérifier toutes les cartes d’identité et nous avons rédigé ensemble le procès-verbal. Plus tard, je l’ai invité à déjeuner avec sa femme chez nous, et j’ai déjeuné ensuite chez eux à la gendarmerie.
Denise Gamzon raconte ensuite comment les filles sont montées à Vabre par le « petit train » et ont été cachées à la « jasse de Renne », grâce à M. de Rouville, notable à Vabre. Elle parle aussi de son troisième enfant, né à Castres au début de Juin 1943, à la clinique de Mme Martial (un repaire de Résistance). La ferme-école doit finalement fermer. Denise Gamzon part pour Lamalou avec ses enfants, tout en sachant que le Préfet du Tarn (M. Kuntz, un alsacien) avait promis de les protéger s’ils revenaient. Finalement Gamzon/Castor montera au maquis de Vabre, sa femme et ses enfants « passeront » en Suisse. Leur correspondance (codée) a été donnée aux Archives « Yad va cem » en 1993. Les archives du maquis en ont quelques extraits, avec le décodage.