Le dimanche 13 août 1944, une colonne allemande traverse Vabre.
Des souvenirs ? A Vabre, de la terrasse qui domine la vallée, je causais avec le chef de l’équipe des saboteurs. On entendait gronder une colonne de chars allemands qui paraissait monter dans notre direction. Je lui dis :
Jean-Marie Domenach
– Il vaudrait mieux s’en aller.
Il me répond en mordant son sandwich :
– Moi, quand je les vois arriver, ça me donne faim.
Toujours les mots historiques ! C’était Castor.
Donc ce jour-là, la gare et ses abords présentaient la même affluence. Le train allait bientôt arriver, lorsque par téléphone on nous signale qu’une forte colonne allemande se dirigeait vers Vabre. En un clin d’œil la gare fut vidée de ses occupants; tout le monde s’enfuyait de tous côtés sans trop savoir où. Seuls restaient les colis : des sacs bourrés de quartiers d’animaux de boucherie. Restaient aussi des handicapés qui ne pouvaient s’échapper. Un homme tout essoufflé se précipite dans le bureau :
– On m’a dénoncé aux Allemands, cachez-moi, je vous en supplie, ils arrivent !
Sur le quai se trouvaient quelques fagots.
– Mettez-vous dans ce coin, on rangera les fagots devant vous.
Un maquisard passe en trombe et lance un paquet :
– Cachez ça, vite !
– Qu’est-ce que c’est ?
– 9 millions qui proviennent d’un parachutage.Je prends le paquet et le lance sur les fagots. Tout se passait très vite. Mon mari était allé avertir le Capitaine Campagne qui habitait non loin de là. Les secondes étaient des heures car j’entendais le bruit des camions. Les Allemands descendirent rapidement l’escalier de la gare pour l’encercler. Je sors et je vois mon mari les bras en l’air, un Allemand le visant avec sa mitraillette. Le soldat comprit que c’était le chef de gare et le laissa. Pendant ce temps le téléphone sonnait; j’allai répondre, un Allemand me surveilla avec son arme. C’était le brigadier de gendarmerie de Roquecourbe qui s’inquiétait pour sa famille. Je lui répondis :
– Le train est parti avec 20 minutes de retard
alors que nous l’avions fait arrêter bien avant Vabre. Dans la salle d’attente, un Allemand menaçant criait :
– A qui sont ces colis ? Maquis ?
Mon mari répondit :
– Ils sont à des voyageurs venus de ravitailler et qui sont partis parce qu’ils ont eu peur.
– Ouvre-les !
Ce fut fait, ce n’était que de la viande. L’Allemand ajouta :
– Il ne fallait pas qu’ils partent; si on fuit, nous tirons.Et c’est ce qui arriva à deux jeunes maquisards tués par une rafale de mitraillette. C’était Jean Rauffast et Raymond Vittoz. Une rue de Castres porte le nom de ce dernier. Les Allemands s’en allèrent enfin. Le train arrêté en route reprit son service avec un sifflement d’appel pour les voyageurs égaillés. Certains vinrent et partirent; d’autres attendirent le lendemain. Il se faisait tard. Et l’homme des fagots ? Il était toujours là, courbatu et tremblant, n’osant bouger. Il nous dit avoir reçu un paquet sur la tête qui lui avait fait très peur.
– Rien n’a explosé tout de même, mais il faut faire gaffe. Il est là, n’y touchez pas !C’était la première fois et sans doute la dernière, que 9 millions lui tombaient sur la tête. Malgré l’émotion de ces scènes, nous ne pûmes que sourire.
Madame Jean, épouse du Chef de gare de Vabre
Ce fut le reliquat de cette colonne allemande, qui devait provoquer le drame du dépôt de la route de La Glévade. Ce dimanche matin, comme d’habitude, je descendais à Vabre, le cuistot m’avait demandé de lui porter du riz. A l’entrée du village, je rencontrais Henri Combes, qui m’avertit que l’on attendait deux voitures allemandes attardées. Un rapide calcul me persuada que j’avais le temps nécessaire pour mes courses. J’avais avec moi un chien de chasse, un braque, qui je ne sais pourquoi m’avait adopté. J’allais au dépôt ou se trouvait le copain Rémy et nous voilà tous deux ensachant du riz; avec le chien à mes côtés. Arriva une camionnette portant des parachutes qui s’arrêta près de la porte. Tout alla très vite : obus, claquement de mitraillette, course puis plus rien… A partir de cet instant seul compta l’instinct de conservation. Notre première idée fut la fuite. L’obus avait éclaté dans une des pièces de devant, y mettant le feu. Nous étions dans celle de derrière, éclairés par la fenêtre et les volets, ouverts dès le début de notre arrivée. C’était notre seule issue, mais il y avait le précipice… Ensuite, nous défendre, l’un de nous deux avait un révolver, il fallait attendre, toute notre attention était axée sur les bruits. A peine voyait-on, par le trou fait par l’obus dans le volet, l’arrière d’un blindé et quelques ombres furtives. Quelqu’un essaya d’ouvrir la porte d’entrée, elle résista, ce qui nous sauva. Bruits de moteur, plus rien en vue au dehors, il fallait sortir d’autant que le chien se mit à hurler. Rémy alla à la porte et s’aperçut alors qu’il avait la clef dans sa poche. Par un « sain » réflexe, il avait dès notre entrée dans la maison, fermé à clef et avait retirée celle-ci de la serrure. Suffoquant, il revînt vers la fenêtre après l’avoir remise à sa place, j’allais donc essayer d’entrouvrir pour voir… Sentant la liberté, notre chien, d’un magistral coup de museau ouvrit en grand… Me voilà, courant vers le sentier qui montait sur la route. C’est alors que nos deux camarades tués me roulèrent dessus. Il me fallut quelques jours pour vaincre l’appréhension de la descente vers Vabre. Je ne revis plus jamais le chien…
Jean Espérou
13 août, c’était dimanche, il faisait beau : j’allais au Temple. […]
Robert Suc
Vers la fin de l’Office, une canonnade éclata, suivie par des tirs d’armes automatiques, les maquisards présents sortirent aussitôt, tandis que le Pasteur Cook, imperturbable, terminait le culte. A la sortie j’appris la mort de Jean surpris, avec d’autres par deux voitures retardataires et lâchement assassiné…
Vers 3 heures du soir, de retour à Pratlong, la gendarmerie de Vabre nous téléphone :
– Attention, on monte dans votre direction !De fait, après avoir brûlé le garage Tarroux à Vabre, les allemands sont montés vers Pratlong à la poursuite d’une voiture du maquis qu’ils ont brûlée au bord de la route… Les occupants ont pu se sauver dans les bois. Nous avons cru que Pratlong allait être incendié comme La Roque et, après avoir libéré le bétail de la ferme voisine, nous nous sommes réfugiés dans la nature… Mais les allemands, arrivés à 2 ou 3 kms ont tiré quelques coups de canon et ont rebroussé chemin. Par quel miracle le séminaire a-t-il été épargné ? Je suppose que celui qui avait livré les emplacements du maquis n’a pas voulu dénoncer l’école…
Abbé Cugnasse