Vabre, Village des Justes

En 2015, à l’initiative de Michel Cals, écrivain vabrais et ancien professeur de littérature, la commune de Vabre a adhéré au réseau des « Villes et villages des Justes de France » .

Depuis des années je me désespérais de voir un pan essentiel de l’histoire de notre village rester en déshérence, voir les témoins disparaître les uns après les autres, constater que les jeunes générations en ignoraient l’essentiel.

Michel Cals, 2015

Le 30 octobre, avec l’appui de la Société des Amis du Pays Vabrais (SAPV) et de sa présidente, Michelle Janisset, s’est déroulée une journée inaugurale de cette adhésion pour rendre hommage aux vabrais, anonymes, bienveillants, silencieux, résistants, … qui recueillirent et aidèrent des dizaines de juifs réfugiés (tous en repartiront vivants).

Au programme :

  • Courte cérémonie mémorielle à la Gendarmerie de Vabre, devant la plaque commémorative du comportement des gendarmes pendant l’occupation, et notamment du brigadier Hubert Landes qui, dans la nuit du 8 au 9 septembre 1943, vînt prévenir la famille de M. Henri Lazar de l’imminence d’une rafle (plaque posée en 2009 et due à M. Henri Lazar),
  • Allocutions à la salle polyvalente, notamment de Michel Cals (organisateur), de Henri Lazar (ancien réfugié à Ferrières à partir de fin 1942), et de Hervé Nathan (fils de Jean-Paul, ancien résistant juif des Maquis de Vabre),
  • Projection par Hervé Nathan du documentaire de son frère Ariel, « Les maquis des juifs », sorti en mai 2015 (hors-série de l’hebdomadaire Marianne),
  • Dîner-débat animé par Michel Cals, avec des témoignages d’anciens réfugiés (présents ou ayant envoyés des lettres), de familles de Vabre, d’anciens résistants (Guy de Rouville, Raymond Béziat, Jean Bosc), de leurs enfants ou petits-enfants, d’historiens (Valérie Ermosilla-Pietravalle). Et un hommage à Pol Roux par Michel Cals.
Michel Cals, Guy de Rouville, Henri Lazar. Peintures de Loran Martinel représentants Gilbert Bloch (maquisard juif tué en 1944) et les réfugiées juives en 1942 à Renne.
Hervé Nathan, fils de Jean-Paul Nathan (maquisard E.I.F.)
Discours de Michel Cals
Hervé Nathan présentant le documentaire « Le maquis des juifs » de son frère Ariel

De septembre 1942 à mars 1945, ma famille et moi avions trouvé refuge au village de Vabre.


 
Ne pouvant pas participer personnellement à la célébration de l’adhésion de Vabre aux Villes et villages des Justes de France, je serai en pensées avec vous tous le 30 octobre.


 
Après l’invasion de la Belgique par les forces allemandes, le 10 mai 1940, ma famille et moi étions réfugiés à Beaulieu s/Dordogne dans le département de la Corrèze, dans la zone non-occupée.


 
En août 1942, quand les Allemands ont occupé la France entière, la gendarmerie française de Beaulieu nous a prévenus que nos noms figuraient sur une liste de personnes juives et étrangères qui devront être arrêtées et par suite déportées en camps de concentration. Ainsi, nous conseillant d’immédiatement quitter Beaulieu. Avec l’aide d’un ami qui faisait partie de réseau clandestin de la Sixième des Éclaireurs Israélites de France qui a pu se mettre en contact avec le chef de la police de Vabre, ainsi qu’avec le maire, il a obtenu la permission que ma famille soit hébergée au village de Vabre.


 
Munis de fausses cartes d’identités (comme étant citoyens français non juifs), mes parents, ainsi qu’une tante ont pu louer une petite maison appartenant à la famille Paul Debrus, se trouvant sur leur propriété. Quant à ma sœur et moi, M. et Mme Robert Cook ont généreusement offert de nous loger chez eux au presbytère.


 
Chaque matin nous quittions le presbytère, marchions le long de la grand rue, passions le magasin et résidence de la famille Paul Mialhe pour nous rendre chez nos parents. Mme Mialhe nous a bientôt repérées et à une de ces marches matinales, elle nous a accostées et m’a offert de travailler pour et avec elle, au ménage de sa maison. J’avais alors 15 ans. A partir de ce moment, je passais quelques heures chaque jour avec la famille Mialhe. En plus des repas du matin et midi, je recevais des légumes et fruits de leur jardin à apporter à ma famille… une aide énorme dans l’incessante nécessité de « trouver assez à manger » due aux restrictions alimentaires durant la guerre.


 
Sans jamais nous poser de questions personnelles, la famille Mialhe s’est nouée d’amitié avec ma famille. En toute confiance, mon père a pu écouter les émissions de la BBC chez eux, à leur radio. Ceci était défendu et punissable si découvert ! Guitou m’a permis de joindre un groupe de jeunesse dont elle était à la tête. Marcel, son frère, me prêtait des livres, et me laissait participer à la récolte du miel des ruches de ses abeilles à la Rivière.


 
M. Paul Debrus avait forgé un lien amical avec mon père, entre autres, lui donnant accès à un tréteau et une scie à l’entrée de leur propriété permettant ainsi à mon père de scier le bois nécessaire pour notre fourneau. Quant à moi j’avais noué un lien avec Mme Debrus et ses enfants, surtout avec Jeannette qui avait juste 3 ans de moins que moi… et cette amitié très proche se perpétue avec Annette, sa sœur cadette et sa famille.


 
Le pasteur Robert Cook, aussi bien que le chef de la gendarmerie et le maire étaient seuls à connaitre notre vraie identité.


 
A eux et aux familles de Paul Debrus, Paul Mialhe, Jean Repessé, Louis Bosc et à toutes les autres familles qui nous ont aidés à tant de différentes occasions sans jamais poser des questions (ils avaient compris que nous étions des refugiés juifs en perpétuel danger d’être découverts et arrêtés par les Nazis). Ils auraient pu nous dénoncer.
MAIS ILS ONT CHOISIS DE NOUS PROTÉGER AU RISQUE DE LEUR PROPRE SÉCURITÉ SI DÉCOUVERTS.
 
A eux donc, je dois ma gratitude et ma reconnaissance ainsi qu’à tous les Vabrais qui ont permis, à ma famille et moi de survivre pendant cette période cruelle et dangereuse.

Marlyse Silverberg, 2015